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Ces souvenirs s’effacèrent bientôt, et une vingtaine d’années plus tard ce fut une nouvelle révélation pour la grande masse du peuple anglais que celle d’un pays appelé l’Afghanistan[1], situé par-delà le pays des Radjpoutes et celui des Sikhs, et qui prenait tout à coup une véritable importance politique par suite des agressions imprévues de la Perse contre une ville nommée Hérat. Ces agressions, au dire des gens experts, étaient inspirées par la Russie. Le chah, une fois maître de Hérat, élèverait des prétentions sur Ghuznee, puis sur Kandahar, et son armée de quarante mille hommes, avant-garde d’une expédition russe, lui fraierait ainsi le chemin jusqu’au seuil de l’Inde anglaise. Il n’est pas très bien établi maintenant que la Russie eût des plans aussi arrêtés, et fût prête à une si périlleuse entreprise; mais en 1835 et dans les années suivantes ceci ne faisait pas doute aux yeux des agens anglais, qui communiquèrent aisément leurs craintes au gouvernement de Calcutta. On vit alors, par suite d’une panique inexplicable, lord Auckland, le gouverneur général, se précipiter au-devant du danger qu’il redoutait, et hâter par ses anxiétés à contre-sens une catastrophe qui était bien loin d’être imminente.

La compagnie des Indes, dès lors en décadence, fut entraînée, malgré qu’elle en eût (1838), à cette guerre étrange où, prenant part tout à coup aux guerres intestines de l’Afghanistan, les Anglais, de concert avec leur douteux allié Runjet-Sing, allèrent détrôner

  1. On nous permettra peut-être, dans une note, de préciser le sens géographique du mot Afghanistan, et de faire le dénombrement des peuples divers qui habitent cette contrée, encore assez imparfaitement connue.
    Le Wilayat, le pays des Afghans, se compose de deux régions distinctes de nom et de caractère. La première est le Caboul ou Caboulistan, comprenant les districts montagneux au nord de Ghazni ou Ghuznee, et le Sufai-Koh jusqu’à la chaîne appelée l’Hindou-Koush. Le Caboulistan est limité à l’ouest par le pays des Hazarahs (le Paropamisus des anciens), à l’est par l’Abba-Sin ou Père des Fleuves (l’Indus). La seconde région du Wilayat est le Khorassan ou Zabulistan, alpestre vers sa frontière orientale, grand plateau désert sur toutes ses limites occidentales, qui, s’étendant au sud et à l’ouest à partir de la latitude de Ghazni, va rejoindre les confins de la Perse, dont il est séparé vers le sud par le désert de Sistan. Au sud encore, il est séparé du Belouchistan par la chaîne des monts Washati, les provinces de Sarawan et de Kach-Gandaba, au septentrion par les montagnes de Hazarah et de Ghor, à l’est par la rangée de montagnes qui portent le nom de Soulaïman et par les rameaux qui s’en détachent, ainsi que par le Daman, territoire situé à leur base et qui va rejoindre l’Indus. Il ne faudrait pas confondre le Khorassan dont nous parlons avec la vaste province du même nom qui se trouve à l’est de l’empire persan et se rattache aux limites nord-ouest du Khorassan des Afghans. Voici maintenant le chiffre approximatif des races qui habitent ces régions, assez imparfaitement limitées par suite des guerres et conquêtes qui en modifient à chaque instant les frontières : Afghans proprement dits, 3 millions; Tajiks, 500,000: Kazzilbashs, 200,000; Hazarahs, de 50 à 60,000; Hindki (Hindous) et Jauts, 600,000; montagnards du Caboul (Nimcha, Deggani, Luggani, etc.), 150,000. Des tribus. afghanes, les unes sont nomades, les autres sédentaires.