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à Leeuwarden. A partir de Harlingen, s’étend tout le long de la côte une lisière très fertile formée par les relais limoneux que les eaux ont successivement déposés dans la mer qui baignait les murs de Leeuwarden et de Groningue, deux villes qui avaient des ports et qui sont aujourd’hui éloignées du rivage par quatre ou cinq lieues de terre ferme. Ici encore il a fallu protéger par des digues tout le territoire que menacent les hautes marées, celles qui défendent la côte de l’ouest, sans cesse en butte à un fort courant et aux lames qui viennent du large, sont vraiment de prodigieux ouvrages où l’on a mis en œuvre toutes les ressources de l’art hydraulique. Qu’on se figure deux rangées d’énormes pilotis reliés ensemble par des madriers, transversaux, et toutes ces pièces de bois complètement revêtues de grands clous à tête plate, afin de les préserver de l’atteinte des petits animaux marins qui détruisent le bois en s’y logeant eux-mêmes ; entre ces pilotis et complètement enfoncées dans le sable, de fortes planches ou plutôt des poutres sciées en deux et placées les unes à côté des, autres; derrière ces planches, un revêtement de gros blocs de granit rouge amenés à grands frais des sables diluviens de la Drenthe, et, derrière ces blocs cyclopéens un puissant clayonnage toujours soigneusement entretenu. Voilà le quadruple moyen de résistance que ces digues offrent aux assauts de la mer, et elles s’étendent ainsi sur plusieurs lieues de distance.

En examinant les formidables travaux accumulés ici, je fus surpris d’apprendre que la côte septentrionale n’est protégée que par une levée d’argile gazonnée, et je résolus d’aller m’assurer moi-même par quel miracle une aussi faible carrière pouvait résister aux fureurs des tempêtes et arrêter les flots soulevés par les vents et les marées. Il est d’ailleurs intéressant de voir comment se rencontrent la terre et la mer. Le mariage ou la lutte des deux élémens m’a toujours paru un des plus beaux spectacles de la nature, qu’on le contemple soit des grèves de sable en pente, douce qui se relèvent en dunes, et sur lesquelles le flot vient dérouler ses volutes expirantes, comme en Hollande, soit du haut des côtes déchiquetées des régions granitiques, où les lames se brisent, en hurlant avec fureur, contra des rocs à pic qu’elles couvrent de leur écume, comme en Bretagne, soit au pied des pittoresques corniches des roches calcaires, où les vagues creusent des arcades et s’engouffrent, limpides et bleues, en des cavernes retentissantes, comme à Capri ou à Amalfi. Je m’attendais à trouver une mer dure et sévère, assombrie déjà aux approches du nord. Pourtant j’avais atteint les limites extrêmes du pays, sans que rien m’annonçât la proximité du rivage Je marchais dans une campagne admirablement cultivée et limitée d’un côté par un relèvement de gazon ou paissaient d’énormes moutons.