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branches de l’art où nous avions longtemps cru être supérieurs n’est certainement pas à blâmer; elle témoigne d’un vrai sentiment des exigences de notre époque. Nous vivons dans un temps où les rangs se déplacent facilement, où il faut (et il en est des peuples comme des individus), si l’on veut conserver la position acquise, redoubler d’efforts en se tenant toujours dans la direction vraie. Est-ce assez cependant que de se connaître, de compter avec orgueil les richesses qu’on possède, de constater avec regret celles qu’on a perdues? Non sans doute, et la France, il faut bien le dire, abuse un peu trop des expositions. Des exhibitions répétées à de courts intervalles ne sauraient avoir une influence bien sensible sur l’art. Nos voisins procèdent avec moins d’apparat et plus de logique, et ici nous sommes ramené à la question que soulevait l’exposition universelle de 1862. Celle-ci du moins nous apprenait un fait important : c’est qu’en dix années à peine l’Angleterre nous avait presque dépassés dans la voie des applications de l’art à l’industrie. Or l’explication de cette heureuse fortune de l’Angleterre est dans la part qu’elle a faite non aux expositions, mais à l’étude même de l’art. Ces années, ce n’est point à s’admirer elle-même qu’elle les a passées; c’est à s’instruire, à se fortifier devant les grands modèles; c’est à développer en un mot chez elle l’enseignement de l’art industriel dans les plus larges proportions.

A la suite du grand concours international inauguré par l’exposition de Londres en 1851, l’Angleterre avait eu le sentiment de son infériorité dans cette portion du domaine industriel qui relève plus particulièrement de l’art. Un noble esprit, dont la mémoire est justement honorée, le prince Albert, signala courageusement les causes de cette infériorité, et prit l’initiative de ces améliorations, qui en dix années devaient presque complètement changer la face des choses. L’Angleterre possède aujourd’hui huit ou neuf cents sociétés dont la mission est de propager le sentiment de l’art et du goût. Ces sociétés libres comptent 200,000 membres, qui mettent en mouvement 100 écoles d’art et près de 300 écoles pour l’industrie privée. Des musées de toute sorte ont été créés pour chaque industrie, avec enseignement public et exposition spéciale pour chaque genre de fabrication. Puis à ce déploiement d’efforts est venu s’ajouter l’achat des livres, des dessins, des gravures qui peuvent servir de modèles et de renseignemens. Ce vaste ensemble entraîne dans sa sphère une masse considérable de fonds et toute une pléiade d’hommes intelligent, dévoués à l’art, qu’une juste rémunération attache solidement à ces institutions. Nous avons vu en 1862, dans la Cité de Londres, quelques spécimens des travaux de ces nouvelles écoles d’art industriel, et nous devons convenir que, si les élèves ne sont pas