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fort : les catholiques, enivrés par le succès de leurs luttes prolongées, n’agiraient probablement pas avec beaucoup de ménagement et de délicatesse envers un clergé qu’ils considèrent comme la cause première des humiliations et des souffrances que les membres de leur propre église ont endurées pendant des siècles. Les protestations d’O’Connell m’inspirent peu de confiance. Constant dans l’objet qu’il a en vue, il ne se fait aucun scrupule de changer son mode d’action : il laisse de côté les engagemens qui le gênent et oublie aujourd’hui les promesses d’hier. Quant à moi, je considérerais le clergé protestant comme très heureux, si, après le rappel, la révolution était conduite simplement d’une manière légale, et si les masses s’abstenaient d’agir comme elles ont agi, il y a quelques années, en Espagne, à l’égard des couvens. Néanmoins la réforme de l’église établie est si essentielle au bien-être de l’Irlande qu’on ne doit pas être trop scrupuleux sur les moyens par lesquels elle s’accomplira, et je n’hésite pas en conséquence à déclarer que si le rappel de l’union était indispensable pour atteindre ce but, je ne pourrais m’empêcher de désirer le rappel, quelque nuisible que cette mesure puisse être à tous autres égards; mais heureusement ce n’est pas le cas... La réforme de l’église établie aura lieu d’une manière ou d’une autre. Sous un parlement national, elle serait soudaine et absolue; mais elle serait probablement accompagnée de violences, d’injustices et peut-être de cruautés. Avec l’union, elle aura lieu lentement, par des moyens réguliers et légaux. Je comprends qu’on préfère le premier mode d’action; mais, si grand que soit notre goût pour les révolutions, nous ne pouvons nous cacher à nous-mêmes combien l’humanité souffre des conséquences désastreuses que des mesures soudaines et violentes entraînent après elles. »


M. de Cavour est sans doute trop confiant lorsqu’il décide du sort de l’église établie en Irlande avec l’esprit qu’il portera plus tard dans sa lutte contre le saint-siège. L’affaire n’est pas aussi aisée qu’il semble le penser, quand il dit plus loin : « La réforme radicale de l’église établie n’est pas seulement compatible avec le maintien de l’union, elle est un événement probable, si la violence des catholiques irlandais n’arrête pas le mouvement de l’opinion publique en Angleterre. » Depuis l’époque où M. de Cavour émettait de telles idées, le concours des circonstances a fait perdre du terrain aux idées de tolérance. D’abord la famine de l’Irlande en 1846 a détourné les regards de ses griefs moraux et les a fait porter exclusivement sur ses maux matériels. En Angleterre, l’amour de la liberté a diminué à mesure que la liberté réalisait ses conquêtes, et l’amour de la liberté est celui de la justice. L’économie politique a pris la place de la politique ; on n’a plus vu les hommes qu’à travers les choses, et, les anciens partis n’ayant guère conservé d’eux-mêmes que leur nom, les hommes d’état ont gouverné comme les paysans irlandais cultivent leurs terres, sans penser à l’avenir. Pendant