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d'emphase que l'empereur n'avait jamais cédé, depuis le commencement de l'insurrection, au moindre sentiment d'impatience... » Le prince Gortchakof se trompait sur un point essentiel : ce n'est pas de l'Occident que le socialisme arrive vers la Russie, c'est de la Russie qu'il arrive vers l'Occident, conduit par ces raskolniks auxquels on a livré un moment les propriétés dans la Livonie polonaise et par ce Gracchus tartare qui saccage la malheureuse Lithuanie.

Il y a là dans ces circulaires de Mouravief, qui mériteraient d'être recueillies, tout un code, toute une littérature de l'expropriation, de la dépossession violente. Vienne maintenant dans l'empire même un autre Pougatchef conduisant les paysans à l'assaut de la propriété russe, il n'a qu'à puiser dans ce code. Et comme le grotesque se mêle souvent aux choses sanglantes, après Mouravief survient un chef militaire de Wilkomir qui, lui aussi, a ses circulaires, qui, lui aussi, s'adresse aux prêtres et aux propriétaires. Quant aux prêtres, qui ont « un penchant avéré au brigandage et à la rébellion, penchant commun à tout le clergé catholique, depuis le saint-père Pie IX et les cardinaux à Rome jusqu'au dernier desservant de la plus pauvre église de Lithuanie, » quant à ces prêtres, ils devront aller avec la croix et l'évangile au-devant des insurgés, pour les soumettre même au risque de leur vie. S'ils ne le font pas, ils seront jugés et exécutés. « S'ils font cela, ajoute cet étrange proconsul, je m'empresserai de rapporter leurs exploits à l'évêque de Wilna et au pape Pie IX à Rome, pour que ces prêtres martyrs n'aient pas trop longtemps à attendre leur canonisation. » Pour les propriétaires, ils sont invités à faire des concessions aux paysans, à se bien conduire, sinon on ira « faire un peu le ménage de leurs propriétés à leur place. » On mettra sans retard sous séquestre les biens « de ceux qui seront reconnus décidément incapables de gérer leur fortune, » et on emploiera leurs revenus à étouffer la rébellion.

Voilà le régime auquel toute une nation est soumise depuis huit mois. Et par une logique naturelle, irrésistible, ces scènes deviennent chaque jour plus lugubres. Ce qui se fait à Wilna et à Dunabourg se fait aussi à Varsovie. On a vu tout récemment le sac sinistre des palais du comte André Zamoyski : un attentat est commis contre le général de Berg devant un de ces palais. Qu'on admette, si l'on veut, une irritation du moment, une répression instantanée; mais ce n'est pas même sous le coup de la première impression, c'est quelques heures après, que la soldatesque envahit le palais, pille, dévaste, saccage et arrête tout le monde, une population de plus de huit cents locataires., Il y avait un homme d'une grande science dans les langues orientales, M. Kowalewski, qui a