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Faites de la Pologne une nation indépendante, unie à la Russie seulement par le lien de votre dynastie... Le temps presse, n'attendez pas l'issue définitive du combat. Il y a plus de vraie grandeur dans la clémence qui recule devant le carnage que dans une victoire qui dépeuples un royaume. »

Ainsi grandit et s'aggrave la révolte morale et matérielle, enflammée, irritée par tout ce qu'on fait pour la réduire, graduellement fortifiée de tous les éléments, de toutes les classes, nobles, paysans, prêtres, juifs, femmes, enfans et vieillards, tous obéissant à l'impulsion invisible, ou agissant spontanément et se rencontrant dans la même pensée. La défaite de Langiewicz, catastrophe apparente et momentanée, crise organique de l'insurrection, marque en réalité cette heure où la lutte s'étend et puise une énergie nouvelle dans le sentiment de solidarité qui lie plus ou moins la nation tout entière à un gouvernement inconnu et accepté. Au point de vue pratique de la direction du mouvement, elle montrait surtout deux choses : la première, c'est que vouloir faire de la stratégie régulière, rassembler des corps trop nombreux et se laisser tenter par l'appât de quelque victoire décisive en bataille rangée, c'était se préparer d'inévitables désastres; la seconde, c'est que résumer politiquement l'insurrection dans un pouvoir visible et ayant un nom, c'était désigner un but à la répression et dénaturer en quelque sorte un mouvement qui trouvait dans le mystère et dans l'anonyme son originalité et sa force.

Désormais c'est sous cette double forme de la guerre par bandes et du gouvernement anonyme que va se développer cette insurrection d'une nationalité allant de la frontière de la Galicie jusqu'à Dunabourg, du duché de Posen jusqu'à l'extrémité de la Lithuanie et à la Volhynie, n'occupant pas les villes par les armes, il est vrai, mais tenant la campagne et remplissant les forêts. « Aller aux bois » est devenu une expression proverbiale en Pologne. Quand je dis que c'est la guerre par bandes, ce n'est point évidemment que ce soit la guerre isolée et à l'aventure, sans direction, sans combinaison et sans lien. Dès les premiers momens, il y a eu toute une organisation divisant le pays en circonscriptions diverses stratégiquement reliées et ayant leurs chefs supérieurs. Sous l'impulsion de ces chefs principaux, ou bien souvent aussi livrés à eux-mêmes, marchent tous ces chefs de détachemens, dont chacun a sa sphère d'action, et qui occupent à la fois les palatinats de Cracovie, de Sandomir, de Lublin, de Kalisch, de Podlachie, d'Augustowo, de Ploçk, sans compter la Lithuanie. Tout récemment encore, il y avait plus de cinquante détachemens en action. Ces bandes ne se battent pas toujours; elles disparaissent ou se reconstituent au premier signal. Elles épient