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et calculée sous le nom de recrutement. Pour tous les esprits, pour toutes les opinions, il n'y avait sans doute en définitive qu'un même but tout patriotique, tout national : l'indépendance plus ou moins lointaine. La division commençait dans le choix des moyens, et c'est ce qui faisait la différence la plus réelle des partis. Pour l'un, — le parti de d'organisation, de la tradition, ou si l’on veut le parti modéré, qui se composait des propriétaires, des classes les plus éclairées, qui avait à sa tête la Société agricole, le comte André Zamoyski, et dans les provinces ses représentans secrètement élus sous le nom d'hommes de confiance, — pour ce parti ; il n'y avait d'autre politique possible que de se servir de toutes les armes légales, de saisir toutes les occasions, d'affirmer le droit de la Pologne devant la Russie, de travailler sans cesse à développer les forces de la nation, l'unité morale intérieure par le rapprochement des classes, par l'admission définitive des paysans à la propriété et des Juifs à toutes, les , prérogatives civiles, par la tolérance religieuse et la libéralité d'une éducation patriotique. Aller plus loin pour le moment, c'était risquer de se briser. C'est ce parti qui avait fait accepter par le pays, les élections pour les conseils de palatinats ou de districts, et qui, les élections une fois faites, avait décidé les conseils à se réunir.

D'un autre côté était le parti de l'action, de l'insurrection, qui avait lui-même plusieurs nuances, et qui se recrutait surtout dans la jeunesse. Ce parti avait aussi son organisation, quoique moins étendue et moins forte d'abord que celle du parti modéré; il avait son comité central, ses affiliés, qui s'engageaient par ce serment : « Je m'oblige à verser mon sang pour la patrie et je jure d'obéir. » Pour ces hommes ardens, rien n'était possible que sous un gouvernement national. Faute de cette condition première de l'indépendance, on serait arrêté à chaque pas qu'on ferait; la Russie se hâterait de briser tout essai qu'elle verrait poindre. Les efforts mêmes des modérés seraient vains, témoin la dissolution de la Société agricole dès qu'elle était apparue dans sa force, témoin le droit que s’attribuait la Russie de dissoudre les conseils dès qu'ils se montraient un peu fermes. L'insurrection était donc le préliminaire indispensable de toute organisation nationale, le porro unum est necessarium. C'était le programme unique des hommes de l'action.

De ces deux partis celui que la Russie redoutait le plus n'était pas le plus hardi et le plus exalté, à qui elle laissait même une certaine liberté de propagande. Elle s'inquiétait bien autrement du parti modéré, qui représentait à ses yeux l'importance sociale, les richesses, les lumières, qui agissait au grand jour et formait devant