Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/916

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la plus grande partie de l'île, notamment les hauteurs. Parmi ces temples, qui sont tous en grande vénération, et où l'on se rend en pèlerinage des provinces les plus éloignées du Japon, les plus remarquables sont consacrés aux déesses Benten-sama et Quanon-sama; ils sont l'un et l’autre entourés de bosquets et de maisons de thé dont l’entretien ne laisse rien à désirer.

Il était midi lorsque je descendis de cheval devant la principale hôtellerie d'Inosima. Un jeune homme s'offrit à me servir de guide, et, comme je voulais retourner le même soir à Kanasava, je partis aussitôt avec lui pour faire l’ascension de l'île et visiter en passant les plus curieux édifices! La ville, que je traversai, est construite sur le flanc escarpé de la montagne. Dans la plupart des maisons, on vendait des coquillages, des poissons volans séchés, des coraux, et autres produits de la mer; tout cela ressemblait à autant de jouets d'enfans, se donnait à bas prix, et ne valait pas grand'chose. Les pèlerins, à ce que m'apprit le guide, avaient l'habitude d'acheter ces bagatelles , pour les suspendre dans leurs maisons en guise de talismans contre l’influence des mauvais esprits. Au sommet du rocher, à l'endroit d'où l'on jouit d'un magnifique panorama, je ne pouvais manquer de trouver une maison de thé. Il y en avait une, en effet, et à la porte on avait dressé sur un tréteau une longue-vue de fabrique indigène, et à l'aide de laquelle je distinguai la jolie île d'Oo-sima et le cap d'idsou, où est située la ville de Simoda, célèbre dans l'histoire de nos premières relations commerciales et politiques avec le Japon[1]. Non loin de la maison de thé s'élèvent les temples de Quanon-sama et de Benten-sama. Je les visitai à la hâte, et ils ne me paraissent guère mériter l'attention du voyageur, surtout lorsqu'on connaît déjà le temple de Quanon-sama à Yédo[2], le modèle en quelque sorte de tous les édifices consacrés à la même déesse. Je remarquai pourtant un trophée en manière d'ex-voto et d'une nature singulière : à la porte de l'un des temples, on avait suspendu par milliers des sandales en paille de toute dimension. C'est une offrande à l'adresse d'une divinité dont le nom m'échappe, et dont les pèlerins japonais avaient voulu s'assurer la protection durant leur voyage.

Après avoir quitté le sommet de la montagne, je pénétrai dans une grotte creusée fort avant dans le rocher, et que la superstition populaire désigne comme la demeure d'un grand nombre de divinités. Cette grotte, étroite et basse, a presque trois quarts de kilomètre

  1. C'est à Simoda que M. Townsend Harris, le ministre des États-Unis, et M. Henry Heusken, son secrétaire, vinrent résider après la conclusion du premier traité entre le Japon et l'Amérique.
  2. Voyez la Revue du 1er septembre.