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l'explication plus simple est bien plus probable, me firent entendre que les moines de Kamakoura ne voulaient pas admettre dans l'enceinte sacrée les barbares chrétiens, dans la crainte que leur présence ne portât atteinte à la sainteté du lieu et ne diminuât le respect qu'avait pour cet édifice le peuple japonais. Je ne puis passer sous silence un monument unique que contient le parc de Kamakoura : c'est une large pierre, haute d'environ trois pieds, et sur laquelle la nature a grossièrement sculpté les parties sexuelles de la femme; elle est entourée d'une enceinte en bois et se dresse à l'ombre d'un vieil arbre. Cette idole étrange, qui est tenue en grande vénération par tout l'empire, porte le nom d’Omanko-sama. De toutes parts on y vient en pèlerinage, et on y dépose de pieuses offrandes. Les femmes stériles surtout y vont demander la fin d'une infirmité qui est regardée en quelque sorte comme honteuse; les nouveaux mariés, les jeunes filles et même les enfans y font aussi leurs prières. L'arbre qui encadre de ses branches l’Omanko-sama est couvert d’ex-voto. On m'a assuré qu'il n'existe dans aucune autre partie du Japon de monument semblable.

Après une longue promenade dans le paix de Kamakoura, je retournai à l'hôtellerie, où le betto m'attendait avec mon cheval. Le long du chemin, un grand nombre d'enfans s'attroupèrent autour de moi et me suivirent avec des rires joyeux et en criant: To-djin ! to-djin ! Cette foule turbulente était cependant inoffensive, et toutes les fois que je me retournais, elle se dispersait en tous sens, me laissant libre de mes mouvemens et m'amusant autant que je l'amusais. On a évidemment tort de se plaindre, comme on l'a fait souvent, de la curiosité dont les étrangers sont l'objet au Japon : cette curiosité sans doute est souvent gênante, quelquefois indiscrète, mais elle n’est certes pas plus grande que celle dont le public des grandes cités européennes a entouré les ambassadeurs japonais.

A l'auberge, je trouvai l'inévitable yakounine; il ne montra pas moins d'empressement que son collègue de Kanosava à s'informer de beaucoup de choses qui me concernaient, et qui, selon moi, ne l'intéressaient en aucune façon; mais la charmante promenade que je venais de faire, la beauté des paysages que j'avais vus, la douceur de la température, tout enfin, jusqu'aux clameurs joyeuses des enfans, m'avait mis de fort bonne humeur, et j'accueillis le yakounine de manière à me rendre tout à fait populaire à Kamakoura. Il y a peu de gens aussi faciles à égayer que les Japonais : toute plaisanterie, bonne ou mauvaise, provoque leurs éclats de rire, et, semblables aux enfans, lorsqu'ils ont commencé de rire, ils continuent sans raison. Ma conversation avec le yakounine de Kamakoura eut lieu