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les territoires en révolte, la création des prévôts spéciaux chargés de la police de l’armée et du recrutement, le bill de confiscation, ont donné au président des armes terribles, dont il ne se sert que rarement et à regret, mais qui conserveront toute leur puissance tant que durera la guerre civile. Au commencement de la lutte, on s’étonnait de voir un gouvernement si faible, si impuissant contre la révolte; aujourd’hui ses ennemis l’accusent volontiers de sacrifier la liberté à l’union.

En réalité, M. Lincoln ne s’est jamais considéré que comme le mandataire et le serviteur de la nation. Les incertitudes de sa politique ont reflété fidèlement les vicissitudes de l’opinion publique. Il n’a eu d’autre prétention que de découvrir, à travers les clameurs des partis, le sentiment de la majorité, et de donner à la volonté nationale l’appui de la puissance exécutive. D’autres auraient pu avoir des ambitions plus hautes, auraient cherché à guider l’opinion au lieu de la suivre, auraient voulu laisser dans tous leurs actes et leurs discours l’empreinte d’une logique plus sévère, d’une doctrine plus arrêtée; mais qui oserait affirmer que la modestie honnête de M. Lincoln n’ait pas servi son pays ? À ces époques troublées où la guerre civile se déchaîne, et où les principes luttent dans les âmes en même temps que les armées sur les champs de bataille, les événemens parlent plus haut que les hommes. Parmi les conséquences les plus importantes de la guerre civile, il n’en est pas qui mérite de fixer plus l’attention que les transformations subies par l’opinion publique et par les partis.

On se souvient peut-être encore, quoique les événemens en aient fait une chose du passé, du programme du parti qui amena M. Lincoln au pouvoir. Ce programme ne renfermait aucune menace directe contre l’esclavage : l’unique prétention des républicains était d’en circonscrire le domaine, et de faire revivre la juridiction du congrès sur les territoires. Par le compromis du Missouri, les territoires avaient été divisés en deux parties, l’une livrée au travail libre, l’autre abandonnée au travail servile ; mais le parti démocratique avait obtenu Je rappel de ce compromis, et substitué à l’autorité du congrès dans les territoires la souveraineté du premier occupant. Les républicains, en arrivant au pouvoir, protestèrent de leur respect pour les droits constitutionnels du sud, et allèrent jusqu’à promettre de faire exécuter rigoureusement la loi détestée des