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droite[1], car Tite-Live nous donne avec cette exactitude comme l’adresse de Scipion l’Africain, en nous apprenant que; Sempronius Gracchus acheta pour l’état le terrain où il voulait faire construire sa basilique, et que ce terrain était occupé par la maison de Scipion, des échoppes et des boutiques de boucher; il s’en trouvait, comme on le voit, des deux côtés du Forum. La mort de Virginie et celle de Spurius Cassius[2] ont rendu historiques celles du côté opposé.

Scipion, qui avait quitté Rome pour n’y plus revenir, devait être bien aise de vendre sa maison, et son gendre, en l’achetant pour l’état, lui rendit un service sans lui rien sacrifier de l’utilité publique, car, ainsi qu’on vient de le voir, la nouvelle basilique était très bien placée entre le quartier étrusque et le Forum.

Le mariage de Sempronius et de Cornélie fut l’idéal d’un mariage romain : fécond, — Cornélie fut mère de douze enfans; — uni jusqu’à la mort, ce que l’on exprima par une légende touchante. Deux serpens ayant été trouvés dans le lit conjugal, les aruspices déclarèrent que, pour conjurer le prodige, il fallait tuer un des serpens, ajoutant que si le mâle était mis à mort, Sempronius mourrait, et Cornélie, si c’était la femelle. Sempronius fit tuer le mâle, disant, ce qui était bien le mot d’un Romain, que sa femme était jeune et pouvait encore enfanter. On remarqua qu’il mourut peu de temps après.

Les deux fils de Cornélie, si semblables par les sentimens, les desseins et la destinée, étaient aussi différens de caractère que de visage. Chez Tiberius, l’aîné de neuf ans, les traits, le regard, le geste, étaient pleins de douceur; chez son frère Caïus, tout était animé et véhément. Malheureusement on n’a point de portrait des Gracques, bien qu’après leur mort le peuple leur ait élevé des statues qu’il couronnait de fleurs, et auprès desquelles il allait sacrifier. Ces portraits, s’ils existaient, seraient aussi ceux de leur éloquence, qui, au dire de Plutarque, leur ressemblait. Celle de Tiberius était agréable et attendrissait, celle de Caïus était fougueuse et violente jusqu’à l’exagération; mais il faut songer que Caïus avait vu massacrer son frère, et qu’un tel souvenir peut bien excuser quelque violence. Le premier, il marcha dans la tribune en preschant, dit le bon Amyot, qui se souvenait peut-être d’avoir vu quelques prédicateurs pareils à ceux qu’on voit à Rome se promener en gesticulant dans la chaire italienne, disposée sous ce rapport comme la tribune antique.

  1. Tite-Live, XLIV, 16. Il faut y joindre Ps. Aconius, Cic. in Verr.
  2. Noyez sur Spurius Cassius la Revue du 1er décembre 1861.