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cherche à s’agrandir au dehors ; vainqueur, il s’avance et suit sa victoire ; vaincu, il n’est point découragé. Pour les Athéniens, la vie n’est pas une propriété qui leur appartienne, tant ils la sacrifient aisément à leur patrie. Ils croient qu’on les a privés d’un bien légitime toutes les fois qu’ils n’obtiennent pas l’objet de leurs désirs. Ils remplacent un dessein trompé par une nouvelle espérance. »

Que de détails dans la vie athénienne d’aujourd’hui rappellent l’Athènes des siècles passés ! Comme au temps d’Aristophane, l’agora est le théâtre sur lequel le peuple athénien donne un libre cours à ses passions vives et mobiles, à son caractère, qui passe si rapidement de l’admiration à la critique et de l’enthousiasme à l’ironie. Dans ce carrefour, formé par la jonction de la rue d’Hermès et de la rue d’Éole, où se réunissent toutes les classes de la société, où le prolétaire, usant des libertés de la langue grecque, peut sans crainte tutoyer le plus grand personnage et l’appeler frère, άδελφέ, quelle activité de discussion, quelle verve satirique, que de groupes passionnés, quelle volubilité de langage ! Députés, sénateurs, militaires, publicistes, ouvriers, tout le monde s’occupe de politique avec passion. Les débats littéraires ne sont pas moins bruyans. Chaque année, l’académie d’Athènes ouvre un concours poétique, et elle décerne un prix fondé par l’opulent patriote Rhallis pour l’œuvre la plus remarquable par l’invention et la pureté du style. Le nom du vainqueur est annoncé le 25 mars, anniversaire de la proclamation de l’indépendance hellénique. Ce jour-là, duelle animation dans la ville ! que de controverses sur le mérite des concurrens ! quelle attention, quel silence lorsque le président de l’académie fait connaître le résultat de la lutte ! quels applaudissemens quand la couronne de laurier se pose sur le front victorieux ! En Grèce, le poète accomplit la mission tracée par Horace, il embellit l’existence du pauvre, il charme et il console ; inopem solatur et œgrum. « Que de fois, dit un écrivain à qui la Grèce est bien connue, M. Yéméniz, et dont la Revue a publié quelques études, que de fois, pendant mes courses dans l’intérieur du pays, n’ai-je pas entendu des artisans, des marchands, des voyageurs de la plus médiocre apparence, déclamer à tour de rôle les plus belles tirades de quelque récent poème ! » Les chants populaires de M. Rhangabé, la Voyageuse, le Courrier, le Départ, sont redits dans tous les villages et sur tous les chemins de la Grèce « par les aveugles qui mendient, par les klephtes qui chassent, par les pâtres nonchalans qui rêvent. » Le culte de la littérature n’est pas seulement une passion pour les Hellènes, c’est l’accomplissement d’un devoir de patriotisme. Sentant qu’ils doivent à leurs aïeux la résurrection de leur patrie, ils ont voulu, comme par reconnaissance, en faire revivre l’antique langage. Ils débarrassent chaque jour leur idiome des locutions étrangères et des empreintes barbares qui le défiguraient, et si ce mouvement continue encore quelques années dans les proportions qu’il a prises depuis la fin de la guerre de l’indépendance, la langue d’Homère et