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maintenus dans une sorte de régularité paisible. Les Hovas ne commirent pendant cette période qu’un seul acte d’hostilité : en 1849, ils dirigèrent une expédition contre notre établissement de Nossi-Bé; mais ils furent vivement repoussés. Une sorte de tolérance s’était même peu à peu introduite dans la politique du gouvernement d’Émyrne[1] à l’égard des étrangers. Assuré que la France avait abandonné ses projets de conquête, puis, subissant l’influence plus ou moins directe de quelques Européens qui avaient réussi à inspirer confiance à la reine, il laissait dormir la terrible loi contre les étrangers. Quelques Français conduits par l’esprit d’aventure ou par leurs intérêts, tels que MM. Delastelle, de Rontaunay, Laborde, avaient préparé cet heureux changement. M. Laborde, particulièrement appelé par la reine pour établir une manufacture d’armes, ne s’était pas borné à fondre des pièces d’artillerie ; il avait aussi établi des hauts-fourneaux pour la fonte des minerais de fer, créé une verrerie et une belle magnanerie. Patient et ingénieux, il était parvenu à transformer les soldats hovas en maçons, en tailleurs de pierre, en charpentiers; il leur avait appris à faire de la chaux, des briques, des charpentes et de la menuiserie[2].

Le calme dont profitaient ainsi les étrangers était dû à l’énergie que la reine déployait dans le gouvernement intérieur de l’île; mais cette énergie était poussée souvent jusqu’à la cruauté. Le règne de Ranavalo fut sanglant. Sa tyrannie s’exerça sans merci contre les populations qui avaient, en maintes circonstances, tenté de reconquérir leur autonomie. Au moindre signe d’insubordination, elle recourait aux plus terribles répressions, et l’idée du châtiment glaçait de terreur toutes les tribus. Quand la reine mourut, elle laissa deux partis en présence au milieu d’une population terrifiée. A la tête de l’un était son fils Rakoto, à qui elle témoignait une grande tendresse. Ce prince, d’un caractère bienveillant et facile, porté par instinct plus que par raison aux actes de générosité et animé de sentimens humains, ralliait à lui tous ceux qui désiraient la fin du régime despotique. Les étrangers qui étaient parvenus à se faire tolérer à Tananarive, les quelques missionnaires méthodistes et catholiques qui y résidaient, recevaient des marques de sa protection et mettaient en lui leur espoir. Un Français, M. Lambert, chez qui les sentimens de la nationalité avaient conservé toute leur énergie, vivait dans l’intimité du prince et se servait de son crédit pour l’amener à inaugurer, au moment de son avènement au trône,

  1. Le nom d’Émyrne, qui revient souvent dans ce récit, est celui d’une rivière qui passe près de la résidence royale.
  2. Relation de la mission du capitaine de frégate Brassard de Corbigny (Revue maritime et coloniale, juillet 1862).