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l’ignorance et la crédulité de ces populations barbares. C’est ainsi que, menacé par le fusil d’un mutin qui allait tirer sur lui à bout portant, il s’écrie dans la langue du pays : « Coquin, ton arme ne partira pas! » Le hasard ayant confirmé cette prédiction, tous les naturels épouvantés s’enfuirent, convaincus que Beniowski était un être surnaturel. De même il laissait ou faisait répandre le bruit par une vieille Malgache ramenée de l’Ile-de-France que, vendue avec la fille de Rimini, le dernier chef suprême de la province de Manahar, elle reconnaissait en Beniowski le fils de cette princesse, et par conséquent l’héritier de la dignité souveraine. Ce conte eut sur ce peuple superstitieux toute l’influence d’une légende nationale; les chefs eux-mêmes voulurent proclamer roi le prétendu descendant de Rimini.

Quel instrument puissant qu’un homme tel que Beniowski, si la France avait su s’en servir! Mais l’administration de l’Ile-de-France ne cessa pas de le contrarier et de lui susciter des difficultés. Elle ne voulait rien laisser à son initiative et prétendait qu’il relevait de son autorité. Beniowski lui répondait inutilement en produisant ses instructions, d’après lesquelles il n’avait de compte à rendre qu’au ministre. Ce débat fut soumis à M. de Sartiges, ministre de la marine, qui le résolut en faveur de Beniowski. Cette décision ne fit qu’irriter l’administration de l’Ile-de-France, qui redoubla d’hostilité contre l’entreprise. Beniowski, ne se sentant plus appuyé par la mère-patrie, se fit déclarer roi de Madagascar. Les chefs du pays, préparés par les fables de la vieille Malgache et par des prédictions habilement répandues dans l’île, se réunirent dans un kabar (assemblée générale)! le 17 septembre 1776 et élevèrent Beniowski à la dignité d’ampan-zaka-bé (chef suprême). Tous les princes et rois de la côte orientale, depuis le camp d’Ambre jusqu’au cap Sainte-Marie, composaient cette assemblée, où plus de cinquante mille Malgaches se prosternèrent devant leur nouveau souverain.

Cependant Beniowski ne se prêta à son nouveau rôle qu’après s’être démis régulièrement de ses fonctions de gouverneur-général entre les mains des commissaires envoyés par le gouverneur de l’Ile-de-France et en avoir retiré un certificat constatant la régularité de son administration. Il voulait certainement, au moyen de sa nouvelle dignité, qui le mettait hors de pair vis-à-vis des chefs indigènes, se dégager de tout lien avec l’Ile-de-France et asseoir sur toute l’île de Madagascar-la puissance française. C’est ainsi qu’avec la constitution qu’il donna à ses peuples, son premier acte fut de proposer un traité d’alliance et de commerce avec la France. Il voulut même partir pour négocier ce traité, malgré les remontrances de ses partisans qui lui annonçaient que par cette démarche