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ment question de la Pologne. Frédéric ne perdit pas cette occasion d’exciter le jeune souverain contre la Russie, de le mettre en garde contre l’ambition de Catherine. Il ne manqua pas non plus, en 1770, dans les conférences de Neustadt, de fomenter les causes de jalousie et de discorde entre ses deux puissans voisins. Cependant Joseph et Marie-Thérèse s’affranchissaient de tous scrupules moins aisément que Catherine et que Frédéric : ils s’effrayaient de cette violation de tous les principes et de tous les droits; d’ailleurs ils étaient encore, en 1769, retenus par les liens qui les unissaient à la France, et, bien que celle-ci ne prît pas ouvertement parti pour la Pologne, la cour d’Autriche n’ignorait ni les dispositions du duc de Choiseul, ni les secours d’hommes et d’argent qu’il faisait passer aux confédérés[1]. L’Autriche pouvait donc encore compter raisonnablement sur l’appui de la France pour le cas où elle se déciderait elle-même à s’opposer aux empiétemens de la Russie et de la Prusse. Après la chute de M. de Choiseul, Marie-Thérèse ne put conserver d’illusions sur l’attitude que prendrait son successeur. L’indifférence et l’inaction futures du duc d’Aiguillon ne se présageaient que trop par son silence. Aussi, lorsque le cabinet de Vienne se fut décidé à prendre sa part d’une spoliation qu’il ne croyait plus pouvoir empêcher, le comte de Merci-Argenteau, son ambassadeur à Paris, fut-il chargé d’alléguer pour principal motif de la conduite de sa cour cette indifférence et ce silence.

Il faut bien reconnaître que, livrée à ses seules ressources, Marie-Thérèse pouvait difficilement s’arrêter à un parti différent; cependant elle résista jusqu’au bout et ne se rendit que lorsque, dans le traité secret signé à Saint-Pétersbourg le 17 février 1772 entre la Russie et la Prusse, ces deux puissances se furent montrées résolues non-seulement à se passer du consentement de l’Autriche, mais encore à se liguer contre elle. Les scrupules de Marie-Thérèse ne résistèrent pas à une pareille alternative; elle aima mieux prendre sa part des dépouilles de la Pologne que risquer, par un refus qui n’eût rien empêché, délaisser ses deux puissans voisins ajouter aux lots qu’ils s’étaient destinés celui qu’ils lui réservaient à elle-même. Il est vrai, et la correspondance de M. Harris en donne une curieuse et triste peinture, qu’une fois la curée commencée, ce fut à qui s’y précipiterait avec le plus d’ardeur. Rien de plus honteux que ce spectacle. Les trois cours se disputent avec avidité les débris de la malheureuse Pologne. Frédéric paraît le plus ardent; de temps en temps l’Autriche et la Russie semblent vouloir élever la voix en faveur de leur impuissante victime : alors on se fâche, on se dit des

  1. Armés par la confédération de Bar.