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Il reste à examiner une question qui a passé par bien des phases diverses, et qu’on ne peut encore regarder comme résolue, celle de l’authenticité de l’Apocalypse. Par un concours assez curieux de circonstances, il est arrivé que l’orthodoxie la plus arriérée et la critique la plus avancée se sont trouvées d’accord pour affirmer que ce livre avait dû être écrit par l’apôtre Jean en personne. Le fait est que, de tous les livres du Nouveau Testament, si nous exceptons les principales épîtres de Paul, c’est l’Apocalypse dont l’authenticité est appuyée par les plus anciens documens. Dès le milieu du IIe siècle, Justin Martyr la désigne en termes positifs comme l’œuvre de l’apôtre Jean. Toutefois, vers la fin du même siècle, du côté opposé au montanisme, c’est-à-dire à l’exaltation millénaire, et dans l’école d’Alexandrie, on commence à revenir de cette opinion, et on attribue l’Apocalypse tantôt à un inconnu, tantôt à un hérétique, tantôt à un homonyme de l’apôtre connu dans l’antiquité chrétienne sous le nom du «presbyter Jean. » À la fin du IIIe siècle, à Alexandrie, on insistait déjà sur les différences notables de style et d’idées qui défendraient en tout cas d’attribuer à un même auteur l’Apocalypse et l’Évangile de Jean. Au temps d’Eusèbe de Césarée, sous Constantin, il est probable que le sentiment le plus généralement répandu parmi les théologiens était celui d’une grande défiance ; mais il ne faut pas s’imaginer que cette déviation de la tradition primitive fût tout à fait désintéressée. Elle provenait surtout de ce que les doctrines millénaires, après avoir été si chères à l’église des premiers jours, avaient graduellement perdu de leur prestige depuis la fin du IIe siècle, et depuis la fin du IIIe n’étaient plus goûtées que par des esprits étroits ou chagrins. Ce n’était pas à l’église triomphante, unie à l’empire par une solidarité qui se resserrait chaque jour, de se complaire dans un rêve aussi révolutionnaire que le millenium. Or l’Apocalypse enseignait positivement comme prochain le règne de mille ans, et par conséquent devait déplaire aux satisfaits du moment. Toutefois, grâce aux interprétations allégoriques, la vieille tradition de son origine apostolique reprit le dessus et finit par acquérir la valeur d’une croyance catholique.

Lors de la réforme, Luther ne déguisa pas sa mauvaise humeur contre ce livre qui s’intitulait révélation et qui était d’une si profonde obscurité. Calvin, qui doit une bonne part de sa renommée théologique à son talent d’exégète, ne se soucia pas de commenter l’Apocalypse. Cependant les protestans en majorité, pendant la période des controverses violentes, aimèrent à penser que les menaces proférées par le prophète de Patmos contre la ville aux sept collines concernaient la Rome papale, et l’authenticité apostolique de son livre, maintenue du côté catholique par les décrets de Trente,