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Arrivent alors les visions apocalyptiques proprement dites. Elles sont précédées d’un superbe prélude, d’un alléluia entonné par l’univers entier et confirmé par l’amen des élus (ch. IV), car le ciel s’est ouvert, un son de trompette[1] s’est fait entendre, et, sans décrire Dieu lui-même, que, selon l’Ancien Testament, nul homme ne peut voir et vivre, le prophète a pu contempler son trône entouré de l’arc-en-ciel, tout resplendissant d’éclairs, tout retentissant de tonnerres, et soutenu par les quatre chérubins, ou grandes forces créatrices, qui ne cessent de répéter jour et nuit : « Saint, trois fois saint est le Seigneur Dieu tout-puissant, qui était, qui est et qui sera! » En avant, vingt-quatre anciens, sanhédrin représentatif de l’église, jetaient leurs couronnes au pied du trône, s’unissant aux grandes voix de la nature pour glorifier l’auteur de leur être. Le voyant remarque un livre fermé de sept sceaux : c’est le livre, de l’avenir, que tout le monde ignore, mais que l’agneau immolé ou le lion de Juda (car Jésus, doux et vaillant, a droit à ces deux titres) va ouvrir en vertu du droit qui lui est acquis, et dont le cantique nouveau, que chantent désormais la terre, la mer et les cieux, proclame la plénitude et la justice (ch. V). Il y a de puissantes harmonies dans ce livre; les orgues alors n’étaient pas inventées, et il y fait penser à chaque instant : on croit les entendre remplissant l’immensité de leurs accords et de leurs mille voix.

Les sceaux sont ouverts l’un après l’autre, et chacun d’eux donne lieu à l’apparition d’un sinistre présage ou bien à quelque mesure préparatoire aux grandes scènes qui vont se dérouler. C’est en ce moment que défilent devant les yeux stupéfaits du prophète les quatre fameux cavaliers de l’Apocalypse qui symbolisent la conquête, la guerre, la famine et la peste. Ce sont les quatre premiers grands fléaux qui précéderont la fin des temps.


«Je regardai, et je vis un cheval blanc. Son cavalier était armé d’un arc. On lui donna une couronne, et il partit vainqueur et voulant vaincre encore.

« Ensuite un autre cheval parut. Il était couleur de feu. Son cavalier reçut le pouvoir de bannir la paix de la terre et de pousser les hommes à s’entr’égorger, et on lui donna une grande épée.

« Je regardai encore, et un cheval noir parut. Son cavalier portait une balance en sa main, et j’entendis une voix qui sortait du milieu des chérubins, et qui criait : « La mesure[2] de froment pour un denier, les trois mesures d’orge pour un denier ! »

  1. Les trompettes sonnent à chaque instant dans l’Apocalypse. M. Volkmar a fait à ce propos l’observation ingénieuse que cet instrument ne réveillait nullement dans l’esprit des lecteurs juifs de ce temps les idées belliqueuses ou mondaines qui s’y associent chez nous. Comme les cérémonies les plus augustes du temple de Jérusalem étaient annoncées par un jeu de trompettes, ce son avait quelque chose de vénérable, de sacré, analogue à ce qu’aurait pour nous le son des cloches.
  2. Cette mesure, le chœnix, représentait la ration journalière d’un homme, et la journée d’ouvrier étant alors, du moins en Asie, payée un denier, la proportion indiquée ci-dessus suppose que les hommes devront consacrer tout leur gain à leur nourriture. Le cheval blanc dont il est parlé en premier lieu était celui des triomphateurs.