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jusqu’au bout leur mauvaise nature : en d’autres termes, c’est l’excès du mal qui présage et amène le retour victorieux du bien. La seconde, c’est que l’histoire n’est pas, quoi qu’en puisse penser un observateur superficiel, un déroulement chaotique, arbitraire, de faits sans lien, subordonnés uniquement aux caprices du hasard, mais qu’elle est soumise à une loi interne qui la régit du dedans, qui se révèle par une symétrie exprimable en nombres fixes, et dont il faut chercher la formule dans le passé pour avoir le secret de l’avenir. C’est en ce sens qu’on a pu dire avec raison que les apocalypses sont autant d’essais primitifs de la philosophie de l’histoire.

Il va sans dire que toutes ces observations, applicables déjà au livre de Daniel, deviennent bien plus frappantes encore lorsqu’on en retrouve la confirmation dans les livres analogues auxquels par la suite il servit souvent de modèle, toujours de type littéraire. Ajoutons seulement qu’un autre trait commun des apocalypses, c’est d’enseigner que « les temps sont accomplis, » d’annoncer par conséquent la venue très rapprochée de la révolution universelle dans laquelle les méchans et leurs méchancetés seront foudroyés par la toute-puissance divine. L’idée de la fin du monde ou plutôt du renouvellement intégral et subit de l’ordre de choses actuel est en quelque sorte le postulat logique du point de vue apocalyptique.

C’est pourquoi la destinée de toutes les apocalypses fut d’être démenties tour à tour par les événemens. Les prédictions du livre de Daniel ne s’accomplirent qu’à moitié. Antiochus, il est vrai, mourut dans une expédition contre les Perses (164), et il est bien probable que l’auteur avait déjà vent de cette nouvelle quand il écrivit son livre. L’indépendance du peuple juif fut reconnue par ses successeurs; mais l’empire universel ne fut pas plus qu’auparavant le privilège du peuple élu. C’était à une autre puissance, plus occidentale encore que la Grèce, qu’il était réservé. De gré ou de force, les princes asmonéens, qui durent à l’héroïsme des Macchabées, leurs ancêtres, de régner sur la Palestine pendant tout un siècle, ouvrirent à ces nouveau-venus une porte toujours plus large qui leur permit de s’immiscer de plus en plus dans les affaires des Juifs. La ferveur première s’était d’ailleurs relâchée, et depuis la mort de Jean Hyrcan le sadducéisme, c’est-à-dire l’indifférence religieuse et les intérêts mondains, dominait la politique intérieure. La famille royale donnait un déplorable exemple par ses divisions intestines et ses mauvaises mœurs. En 64, Pompée entra dans Jérusalem sous prétexte d’appuyer un prétendant, pilla le temple, emmena des prisonniers, traita fort rudement en un mot les « alliés du peuple romain. »