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aussi rigoureusement que l’on voudra le nombre des artistes contemporains dont la postérité aura probablement à s’occuper ; que, dans ce petit groupe de talens et de noms promis à l’avenir, on refuse une place à tel nom un moment célèbre, à tel talent aujourd’hui en faveur, — il nous semble difficile, impossible même, que l’exclusion atteigne Gavarni. Il n’a traité qu’un genre secondaire, soit ; mais il y a excellé, et en fait d’art, on le sait, l’excellence des résultats est un brevet de longévité plus sûr que la dignité même des principes et des sujets. Il n’a, j’en conviens, voulu ou su manier que le crayon, et il s’est ainsi affranchi de certaines conditions, de certaines difficultés considérables imposées aux peintre proprement dits : est-ce une raison toutefois pour tenir en estime médiocre ce qu’il a fait pour lui reprocher de n’avoir pas fait autre chose ? Depuis quand faut-il dédaigner les tableaux de genre ou les comédies de mœurs, parce qu’il y a des tableaux de genre ou les comédies de mœurs, parce qu’il y a des tableaux d’histoire et des tragédies ? Que la comédie d’ailleurs soit écrite avec la plume, le crayon ou le pinceau, peu importe, pourvu qu’elle soit bonne, que la scène de mœurs soit bien rendue. Voilà pourquoi, sans prétendre certes élever l’habile dessinateur au niveau de quelques peintres qui sont l’honneur principal de notre école, on est autorisé à dire que ses œuvres doivent survivre, et, le genre une fois admis, que celui qui les a faites est véritablement un maître.

Le nom de Gavarni est, dans l’ordre chronologique, le dernier de ceux qui personnifient les faits principaux de l’histoire de la lithographie en France, le seul qui représente aujourd’hui la vie de l’art en dehors de l’activité stérile et des faux progrès de l’industrie. Depuis un quart de siècle environ, Gavarni est en possession d’un succès que chaque jour presque a renouvelé. Or, tandis qu’il multipliait ainsi les témoignages de son talent et qu’il en confirmait de plus en plus les titres, de plus en plus aussi le vide se faisait autour de lui, non-seulement dans le cercle des travaux auxquels il s’était voué, mais dans le champ même de l’invention, occupé d’abord par tant d’ingénieux artistes, et, quelle que fût la nature des recherches, si bien exploité par chacun d’eux. A l’exception de M. de Lemud, qui, en publiant, il y a vingt ans, Maître Wolframb et plusieurs autres lithographies remarquables, semblait nous promettre un œuvre dont les premiers feuillets seuls ont paru, pourrait-on citer dans cette période un dessinateur de quelque mérite ayant fait du crayon lithographique un moyen d’expression pour ses propres pensées? En revanche, le nombre est grand de ceux qui se sont contentés d’interpréter les pensées d’autrui, et depuis les portraits lithographies par M. Léon Noël d’après M. Winterhalter jusqu’aux reproductions des tableaux de Decamps ou de M. Robert Fleury par