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rares occasions[1]. Seul entre les maîtres appartenant à l’époque primitive, Charlet allait continuer de travailler pendant quinze années encore, mais, nous l’avons dit, non sans modifier assez sensiblement sa manière, non sans la compliquer de quelque recherche dans le style, de quelque coquetterie dans l’exécution. Decamps au contraire, — c’est là son mérite principal; — entendait subordonner l’adresse de la pratique à l’énergie du sentiment, et, tout en interrogeant de fort près le procédé, en ne négligeant, quant au maniement de l’outil, aucun stratagème ni aucune recette, laisser aux choses rudes leur caractère de rudesse, aux formes imprévues leur aspect exceptionnel, bizarre même, s’il le faut, mais strictement vrai.

Que ce parti pris d’accentuer la physionomie distinctive de chaque objet se traduise parfois en exagérations voisines de la caricature, qu’il y ait au fond de ce respect pour la réalité une certaine insuffisance du goût. Une sorte d’impuissance à distinguer entre les exemples d’élite et les faits seulement curieux, — c’est ce qu’il faut bien reconnaître. Decamps avait peut-être le besoin de la fermeté dans l’expression plutôt qu’il n’en avait reçu le don naturel et l’instinct. De là, sous sa véracité même, sous l’originalité et les hardiesses de son style, quelque chose d’un peu pénible, de prémédité outre mesure, de systématiquement voulu; de là aussi, en haine de la banalité, ces excès pittoresques dont nous avons parlé, cette inclination à confondre avec les élémens du beau des apparences tout accidentelles ou de pures singularités ethnographiques. S’agit-il de représenter des personnages bibliques où des chasseurs, des Turcs et leurs coutumes farouches, ou des animaux parodiant les mœurs humaines, l’artiste apportera dans l’imitation de ces modèles si divers les mêmes efforts studieux, le même zèle, on dirait presque les mêmes émotions, — si bien que les résultats de cette application uniforme auront entre eux un certain air de parenté, et qu’on courra le risque parfois, en face de telles figures d’hommes, de se souvenir un peu trop des singes que l’on aura vus ailleurs. Le talent de Decamps manque essentiellement de laisser-aller et de souplesse. Chacune de ses œuvres, depuis les compositions les plus importantes jusqu’aux moindres croquis, est certainement caractéristique, en ce sens qu’elle laisse deviner à première vue la main

  1. A l’époque où il remplissait les, fonctions de directeur de l’Académie de France à Rome, Vernet lithographia un Guarda bovi à cheval qui figure dans un album publié à Paris en 1831, trois ou quatre vignettes ou portraits et une pièce, dont il ne fit tirer que quelques épreuves, représentant la Découverte de la sépulture de Raphaël dans le Panthéon. Hormis ce petit nombre de croquis faits à Rome entre les années 1830 et 1835, Horace Vernet n’ajouta rien aux deux cent cinquante lithographies environ, qui composaient déjà son œuvre, et dont les dernières portent la date de 1828.