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maître-lithographe par excellence, ou plutôt l’inventeur même de la lithographie, car il en est des inventions en matière d’art comme de toutes les découvertes, à quelque objet qu’elles s’appliquent. Une vérité, on l’a dit avec raison, appartient bien moins à celui qui la trouve qu’à celui qui la prouve. Charlet, à ce titre, est un possesseur légitime, et l’ensemble des ouvrages qu’il a produit la plus claire des démonstrations.

Les premiers efforts de Charlet pour naturaliser la lithographie en France ceux que tentaient en même temps que lui Vernet et Géricault, avaient trouvé d’ailleurs l’opinion bien préparée et, à part la question de talent personnel, les encouragemens et le succès faciles. On sait le mouvement qui s’accomplissait dans les esprits vers le commencement de la restauration et les inclinations, franchement libérales chez les uns, mélangées de quelques arrière-pensées chez les autres, en vertu desquelles certaines innovations étaient avidement accueillies et se répandaient avec une rapidité singulière. La lithographie ne pouvait manquer d’attirer sur elle quelque chose de cette attention universelle à interroger les signes du temps, quelques effets de ce zèle que suscitaient à tort ou à raison la moindre promesse, la moindre apparence de progrès. Aussi, même en dehors des artistes, recrûta-t-elle tout d’abord bon nombre de partisans. Plusieurs, il est vrai, se contentaient d’applaudir à la découverte et d’en célébrer hautement les bienfaits, sauf à circonscrire leur enthousiasme dans les limites de la théorie; mais d’autres, au premier rang desquels il n’est que juste de citer M. de Lasteyrie, n’hésitaient pas, pour favoriser l’essor de l’art nouveau, à joindre la pratique et les exemples aux préceptes, à user de leurs propres talens aussi activement que de leur crédit, à hasarder même une partie de leur fortune dans des publications dispendieuses ou dans l’établissement d’une imprimerie. Ajoutons que parmi ceux qui travaillaient alors à populariser la lithographie en France, comme parmi ceux qui en accueillaient avec le plus d’empressement les produits, tous n’étaient pas exclusivement préoccupés de l’art et de ses intérêts. Pour beaucoup d’entre eux même, l’art semblait ici bien moins en cause que le patriotisme, dont les fiertés ouïes rancunes devaient trouver un aliment quotidien dans les œuvres de la lithographie.

Quel meilleur moyen en effet que celui-là d’entretenir au jour le jour les glorieux souvenirs ou les regrets ardens de la foule? Quelle manière plus sûre d’écrire, à l’usage de tous, l’histoire des grands événement qui venaient de s’accomplir ou la satire des faits qui se produisaient dans le nouvel ordre politique? La gravure, avec ses procédés lents et coûteux, n’eût pu tenter une pareille entreprise,