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moins elle l’intéresse assez directement pour avoir raison d’autres exigences de l’imagination et du goût.

Il y aurait quelque injustice d’ailleurs à ne voir dans la lithographie qu’un art et des procédés absolument frivoles, une sorte d’équivalent du vaudeville. La lithographie serait plutôt à la gravure et à la peinture d’histoire ce que l’opéra-comique est à la musique sérieuse, — quelque chose de mixte, de tempéré, où les inspirations du sentiment se concilient avec des formes d’expression familières, où l’imitation de la réalité sert de laisser-passer à la fantaisie et l’humilité apparente des moyens à la grâce ou à l’énergie des intentions. En faisant de la musique l’auxiliaire et le complément de la parole, les compositeurs français ont excellé souvent à les définir l’une par l’autre et à rendre vraisemblable une association toute factice. Ceux de nos maîtres qui se sont servis du crayon lithographique pour écrire l’histoire contemporaine ont su à leur tour dissimuler les côtés artificiels de l’entreprise et nous ôter le droit de remarquer ce qu’il y a dans ce récit pittoresque d’élémens empruntés à l’ordre purement littéraire ou à d’ingénieuses conventions.

Par quelle singulière défiance des entraînemens de l’esprit les successeurs de ces maîtres s’appliquent-ils si bien aujourd’hui à démentir les premiers exemples et à faire prévaloir sur le reste le travail de la main, de l’outil? D’où vient cette transformation de la lithographie, c’est-à-dire d’un art qui n’existe qu’à la condition d’effleurer les choses et d’en esquisser l’image, en une contrefaçon des moyens matériels exigeant le plus d’insistance dans l’étude et dans la pratique? Les artistes qui, les premiers dans notre pays, ont fait usage du crayon lithographique ont bien su se préserver de ces erreurs. Tout dans leurs œuvres a le caractère de la bonne foi, de l’aisance, de l’adresse naïve; rien ne trahit les stratagèmes de la pratique. Si modestes qu’en soient les termes, de pareils travaux méritent donc une estime sérieuse, surtout lorsqu’on les rapproche des travaux tout différens qui ont suivi, et qu’on met en regard de cette manière sans ambition et sans détours l’habileté recherchée ou les formules laborieuses qui compliquent aujourd’hui l’aspect et la signification des produits de la lithographie.

Il semble au surplus que l’opinion hésite de moins en moins à donner sur ce point raison au passé. Les lithographies publiées il y a trente ou quarante ans ont acquis déjà l’importance qu’on n’attache d’ordinaire qu’aux œuvres anciennes. On se les dispute dans les ventes avec une passion presque égale à celle qu’excitent les gravures les plus célèbres des vieux maîtres, et il n’est pas rare de voir telle humble feuille de papier sortie autrefois avec plusieurs