Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/555

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour un but généreux. Peut-être à la longue, le rapprochement des hommes venant en aide à celui des opinions, l’avenir verrait poindre enfin cet accord complet des nobles cœurs dont l’espoir toujours trompé a lassé la patience des générations présentes.

En attendant, l’union, même bornée et temporaire, servira toujours à réveiller, à échauffer ces cœurs libres là où ils existent et à les former où ils n’existent pas. C’est là, avant tout plan d’institution à rédiger, avant même toute garantie à obtenir, l’œuvre présente et pressante d’un nouveau parti libéral. En prononçant le mot d’éducation politique de la France, on a tracé le véritable programme : l’éducation prend des enfans et en fait des hommes. Ce sont des hommes qui nous manquent et qu’il nous faut. Il en faut à toute constitution pour la mettre en œuvre, à toute liberté pour en jouir, en user et la défendre. L’homme libre, c’est-à-dire celui qui connaît à la fois l’étendue et la limite de son droit, qui craint la loi, mais ne veut pas concevoir d’autre crainte, c’est là vraiment, pour parler le langage de l’école, la matière de la liberté, dont les institutions diverses ne sont que la forme. Préparez hardiment la matière : la forme viendra à son heure. A quelque couche du sol que se trouve le métal précieux dont on fait l’homme libre, osons l’extraire et le porter au jour, sans nous inquiéter si plus tard, mis en fusion par la chaleur de la vie publique, il ira remplir ou déborder le moule que nos préférences personnelles peuvent lui préparer.

Hélas! même en les cherchant ainsi à tous les points de l’horizon et sous tous les drapeaux, où sont-ils et combien sont-ils, ces hommes libres tels que je viens de les définir, ayant voué à la loi un culte jaloux qu’ils ne veulent offrir à aucune autre puissance de ce monde, ni à la force, ni au nombre, ni à la fortune, ni à la faveur ? En vérité, l’espèce en est assez rare, et dans notre état social la croissance assez difficile, pour que nous n’ayons pas la tentation d’éclaircir encore leurs rangs par d’inopportunes exclusions. Tout semble conspirer dans notre atmosphère pour empêcher de tels hommes soit de naître, soit de grandir. Une société où chacun a besoin de travailler pour vivre, mais dans laquelle les trois quarts au moins des emplois possibles ou fructueux de l’activité humaine sont convertis en fonctions publiques dont il faut demander l’investiture à un supérieur, — toutes les voies de la vie ainsi dominées à leur seuil par une voûte basse sous laquelle tout passant doit commencer par courber la tête, — de plus à chaque pas de chaque carrière, même soi-disant libre, des myriades de règlemens inconnus de ceux-là mêmes qui sont tenus de les observer, et dont une administration paternelle peut à son gré faire à ceux qui lui plaisent ou déplaisent la remise ou l’application, — cette administration pénétrant