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Que dis-je ? non-seulement aucune révolution n’a rien distrait de cette masse, mais il n’en est aucune qui, en certaine mesure, ne l’ait grossie, et cela est tout simple. Du moment en effet où l’effort commun de tous les partis parmi nous a été, — non de restreindre la part de l’état dans les fonctions sociales pour accroître celle de l’activité personnelle des citoyens, — mais au contraire de s’emparer de cette part pour en jouir exclusivement et en user au gré de ses passions, il est tout simple que chaque parti arrivant au pouvoir se soit fait offrir, en qualité de don de joyeux avènement, quelque extension de ces prérogatives, objet unique de son ambition. Les prétextes n’ont jamais manqué pour motiver l’accroissement désiré, et chose remarquable, qui montre combien certains principes sont larges et certaines consciences élastiques, ces prétextes, chaque parti les a puisés dans la somme d’idées particulière qui constituait sa profession de foi et lui fournissait son mot de ralliement. Nous avons vu par exemple des révolutions démocratiques et des réactions conservatrices se succéder rapidement sur la face agitée de notre pays. Réactions et révolutions ont eu, les unes comme les autres, les meilleures, quoique les plus différentes raisons du monde pour enfler le rôle de l’état en atténuant, en exténuant même celui de l’individu. Pour les conservateurs, c’est l’intérêt de l’ordre qui passe avant tout. Or l’ordre, c’est, à n’en pas douter, l’état avec sa force armée et disciplinée, avec ses fonctionnaires et ses factionnaires, aussi fidèles les uns que les autres au poste et à la consigne, avec ses casemates et ses bureaux disposés les uns comme les autres, suivant la même symétrie mathématique, ses cartons pleins chacun du même nombre de dossiers, et ses piles triangulaires formées chacune du même nombre de boulets de canon. Quelle plus belle et plus vivante image de l’ordre ! L’individu, au contraire, n’est que caprice : pas deux visages qui se ressemblent et pas deux hommes qui pensent de même. À peine si le même homme fait deux jours de suite la même chose. Évidemment tout ce qu’on enlève à cette force variable de l’individu, qui ne procède que par boutades, pour donner à celle de l’état, qui est la règle par excellence, est autant de conquêtes faites par l’ordre sur l’anarchie. Conservateurs, vous ne sauriez trop aimer l’état, c’est lui seul qui vous défend contre l’émeute.

Seriez-vous démocrate au contraire, et un peu de révolution n’a-t-il rien qui vous effraie, arrivez-vous au pouvoir porté par le flot populaire, alors je vous entends : c’est l’égalité qui est votre grande affaire, et l’état est là encore tout à votre service, car l’état, c’est aussi le niveau égalitaire par excellence, c’est devant l’état encore bien plus que devant la loi que tout est égal. Quelle