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Jacobi, Lavater, avec Schiller surtout, avec le musicien Zelter, avec son vieux camarade Knebel, avec la vive et tendre Mme de Stein, avec la noble et religieuse Mme de Stolberg, précieux recueils auxquels s’ajoute en ce moment même le long échange de confidences que se firent pendant plus d’un demi-siècle l’illustre poète et le grand-duc Charles-Auguste. A côté de ces documens réclamés par tous, combien d’ouvrages plus ou moins utiles sur les moindres détails de cette époque brillante ! Au premier rang sont les deux volumes intitulés Charlotte Schiller et ses amis; à l’extrémité opposée apparaissent les Reliquiœ du peintre Tischbein, dont Goethe a parlé si souvent, si cordialement, et qui ne nous dit presque rien de son glorieux compagnon. Le champ est riche et la moisson abonde. Ici ce sont les lettres de Fichte, l’idéaliste inspiré, là celles de Mendelssohn-Bartholdy, le suave compositeur; plus loin, voici de nouveaux renseignemens sur Jean-Paul, sur Schleiermacher, ou des révélations sur le groupe des Stolberg. A Dieu ne plaise que je paraisse dédaigner de telles œuvres! Je remarque seulement que ce sont les débris de la fête d’hier, et je voudrais que, sans renoncer à ces trouvailles, l’Allemagne songeât enfin à la fête d’aujourd’hui. En 1849, l’Allemagne a célébré le centième anniversaire de la naissance de Goethe; dix ans plus tard, ce fut le tour de Schiller; puis sont venues les mêmes cérémonies pour la naissance de Fichte, de Jean-Paul... Que sais-je? C’est maintenant un usage établi, tout le XVIIIe siècle y passera. Bien mieux, les commémorations séculaires ne suffisent plus, on s’est mis à célébrer les cinquantaines. Au moment où nous traçons ces lignes, l’Allemagne achève de célébrer le cinquantième anniversaire du soulèvement de ses peuples contre Napoléon. Depuis l’empereur d’Autriche réunissant dans les salles du Roemer le congrès des souverains confédérés jusqu’à ces sociétés de gymnastes[1] solennellement rassemblées à Leipzig, chacun, sous des formes différentes, évoque les souvenirs de 1813. Ceux-ci se taisent, ceux-là déclament; qu’importe? Silencieuse ou bruyante, l’inspiration est la même. C’est toujours le passé qu’on appelle au secours du présent, c’est toujours l’ardeur et la fécondité d’un autre âge qui sont chargées de dissimuler la langueur et la stérilité de l’heure actuelle. Aussi à cette question que je posais en commençant : « Que devient l’Allemagne? » j’aurais bien le droit de répondre :

  1. Nous n’avons pas d’autre terme pour traduire le mot turner, qui se rattache à une institution inconnue chez nous. Les turner, organisés après les guerres de 1813 et longtemps suspects aux souverains allemands pour leur exaltation libérale, forment aujourd’hui des sociétés de gymnastique assez semblables par l’esprit qui les anime à ces volontaires anglais dont M. Esquiros a entretenu les lecteurs de la Revue; on y développe la vigueur et l’agilité du corps en vue des guerres défensives. Les sociétés de gymnastes réunies dernièrement à Leipzig y ont amené plus de vingt mille hommes.