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choses n’admettent que le système unitaire, que les bruits d’une alliance nouvelle avec la France sont prématurés, car les esprits sont encore trop animés en Russie pour accepter une semblable combinaison sans préparation et sans transition. Il faut sans doute faire la part de la forfanterie dans ce langage de la presse russe, mais il serait injuste de n’y pas reconnaître une apparence de dignité. Malheureusement pour elle, la presse russe a gâté cette belle attitude en avançant que la cour de Pétersbourg, bien loin de voir dans les projets de réforme germanique un motif de se rapprocher de la France, avait toujours applaudi et donnerait son concours aux tendances unitaires de l’Allemagne. Voilà ce qui peut s’appeler une des gasconnades les plus effrontées que la politique russe se soit jamais permises. La Russie favorable à l’unité allemande ! Mais il y a quarante ans que la Russie exploite à son profit les divisions de l’Allemagne. Pendant tout le règne de Nicolas, c’est à l’aide de ces divisions qu’elle avait usurpé sa prépondérance artificielle sur le continent. Ces divisions sont encore aujourd’hui la protection la plus efficace qui la couvre contre les réclamations du libéralisme européen. Le jour où l’Allemagne entrerait en possession d’elle-même marquerait peut-être la fin de la destinée européenne de la Russie. Il n’y a que les peuples libéraux qui puissent voir sans trouble l’Allemagne chercher une vie nationale plus complète et plus forte. Et c’est parce que la France, malgré les tristes et passagères éclipses que la liberté subit chez elle, ne peut être en définitive qu’une nation libérale, que nous croyons qu’il est de son intérêt comme de son honneur de ne point opposer de résistance aux efforts du patriotisme allemand.

En vérité, les amis de notre gouvernement lui ont prêté de bien courtes vues, s’ils ont pensé que l’initiative de l’empereur d’Autriche dût l’émouvoir et le troubler au point de lui faire changer en vingt-quatre heures son système d’alliances. Nous n’avions le droit de faire des objections qu’à l’article du programme autrichien qui aurait fait entrer dans la solidarité germanique les provinces extra-allemandes des puissances confédérées. Ceci n’était plus une affaire fédérale intérieure, et tendait à changer profondément le caractère et le rôle de la confédération dans ses rapports extérieurs avec les autres nations. Cette prétention ne devait point, dans les circonstances actuelles, inspirer une sérieuse inquiétude ; une simple observation suffisait pour la faire disparaître, et d’ailleurs le projet autrichien avait si peu de chances d’être immédiatement réalisé, que les puissances étrangères pouvaient compter que cette prétention tomberait d’elle-même. Il n’y a guère que le cabinet de Turin qui ait, croyons-nous, donné à ce propos quelque signe d’émotion. Encore le cabinet italien a-t-il eu le bon goût de ne faire aucun fracas de ses représentations, et de ne point se donner l’apparence ridicule de tenter un grand effort pour enfoncer une porte ouverte. L’article du projet autrichien qui eût pu nous faire dresser l’oreille a été rendu inoffensif par les amendemens qu’il a subis. Il créerait même une situation plus favorable aux puissances étrangères que l’état