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LA
COMTESSE DIANE




I.


J’avais une marraine et un tuteur : la destinée les avait faits mari et femme… Ne souris pas, cher Wilhelm, si je commence ces souvenirs, écrits à ton adresse, comme si j’allais te conter l’Oiseau bleu. Nous sommes en pleine réalité, et tu vas bien le voir…

Mon tuteur était vieux, dur, farouche ; elle était jeune, douce et belle : un faucon méchamment accouplé avec une colombe. Par bonheur, elle avait l’âme haute et fière, ce qui fait qu’elle l’intimidait un peu et qu’il n’osait pas trop la froisser. Je vivais avec eux dans un sombre château des Ardennes, antique repaire féodal planté sur un roc et savamment restauré, sauvage et fleuri tout à la fois : une aire de vautour dans un buisson de myrtes.

— André, me dit-elle un jour que nous chevauchions, pensifs et côte à côte, sous les grands chênes de mes forêts, voici juin qui s’avance, et vous avez vingt ans ; le moment est venu, mon enfant, de songer à votre voyage d’Angleterre…

Je ne pensais à rien, et, galopant près d’elle, je m’enivrais d’espace, de liberté : les senteurs du matin, les profondeurs du feuillage où tremblait la rosée, les petits cris d’oiseaux effarouchés dans les taillis, le mystère, le silence, que sais-je ? peut-être mes vingt ans qui chantaient en mon cœur, ou la beauté de ma marraine qui rayonnait dans ce printemps, tout avait pénétré mon âme d’un recueillement voluptueux et pur… Je ne pensais à rien.

— J’ai reçu ce matin une lettre de votre cousine lady Clarencey, reprit-elle comme je ne répondais point ; elle compte vous voir à