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V.

Les doléances de la boulangerie datent de loin. Longtemps sans doute on les a prises pour le grognement instinctif du boutiquier. A partir de 1858, c’est-à-dire au moment où l’administration se félicitait d’avoir complété son système réglementaire par l’approvisionnement de trois mois et la compensation, les plaintes se produisirent avec tant de persistance et un accent si désespéré qu’il fallut bien y avoir égard. J’ai sous les yeux un amas de notes et de mémoires, datés de 1858 à 1860, et adressés au ministre du commerce, au conseil d’état, au préfet de la Seine, au préfet de police. Le thème auquel on revient sans cesse, avec la force de l’évidence, est l’insuffisance de l’allocation fixée en 1831. Depuis trente ans, loyer, impôts, salaires des ouvriers, combustible, accessoires, tout a augmenté de prix; la concurrence a introduit dans les boutiques un luxe inconnu autrefois. L’approvisionnement de trois mois, les frais de la compensation, certaines exigences de la police, sont des charges nouvelles. Bref, la panification d’un sac, pour laquelle 11 francs sont alloués au boulanger, lui coûte à présent 13 francs 25 centimes. «Nous reconnaissons sans en rougir, ajoutent les plaignans[1], que nous sommes de simples ouvriers, fabriquant à façon, et fournissant la matière du pain dont l’administration fixe le prix. L’allocation qui nous est due devrait représenter nos dépenses de fabrication : elle ne les représente pas. Elle devrait nous donner le salaire rémunérateur du travail : elle ne nous donne rien, absolument rien. Après cela, comment expliquer le phénomène de notre vie? Par cette triste vérité que nous sommes très misérables. Nous le sommes depuis longtemps, et plus qu’en aucun temps! »

Des lamentations si pressantes eurent du retentissement dans le monde administratif, et on finit par s’en émouvoir. Le problème d’ailleurs était déjà à l’étude au conseil d’état; il y avait été introduit incidemment. La boulangerie, paralysée par sa réglementation, en était restée aux procédés du dernier siècle. L’idée d’appliquer les progrès de la science à la fabrication du pain se fit jour tout à coup : on vit surgir toute sorte de projets basés sur la prétendue amélioration des procédés anciens, ou sur la création de vastes usines où la mouture et la panification seraient réunies, et qui résoudraient enfin le problème du pain à bon marché; mais comme toutes ces combinaisons impliquaient une production et une vente considérables, la limitation du nombre des ateliers, la défense

  1. Mémoire du préfet de police 1858.