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seil des subsistances avec ses remuemens et ses rigueurs. La disette était donc en grande partie imaginaire, puisqu’on avait pu la traverser avec si peu de secours étrangers. Personne ne tira cette conclusion, tant il était dans les instincts de considérer la tutelle administrative comme indispensable. Il y a plus. Les plaies étant à peine fermées, on retomba dans les mêmes fautes.


III.

L’année 1816, désolée par des pluies extraordinaires, fut une des plus mauvaises dont on ait gardé souvenir. Pour comble de malheur, la France avait à nourrir des armées de convives qu’elle n’avait pas invités, nos alliés germains et moscovites, et on s’effrayait outre mesure de leur appétit. Il faut que l’état s’en mêle; mais à Dieu ne plaise que la monarchie restaurée imite l’empire! A la place des conseillers pour les subsistances, on nomme des commissaires ; on a soin aussi de remplacer les bonapartistes par des royalistes à toute épreuve. A part cela, rien de changé : autre cocarde et même routine. Impatience de recompléter les greniers d’abondance, achats de blés et de farines autour de Paris en concurrence avec les boulangers, vente à perte sur les marchés pour forcer le commerce à baisser ses prix, tout se renouvelle en 1817; la commission y met seulement un peu moins de malice, et aussi» moins de dureté. Au lieu de dissimuler son trafic, elle annonce publiquement qu’elle va vendre à bas prix sur les marchés français les grains qui lui ont coûté cher en Angleterre et en Hollande. Le négoce prend l’alarme et suspend toute opération; le producteur cache ses denrées, et, quand la commission des subsistances a épuisé ses approvisionnemens, les marchés restent dégarnis. Le gouvernement décerne de fortes primes à l’importation du blé, du maïs et même du pain. A chaque annonce de ces expédiens désespérés, la panique augmente et les prix s’élèvent. On cite des contrées où le kilogramme de mauvais pain se vendait 2 francs. Un député renommé pour sa rude franchise. Voyer d’Argenson, a déclaré à la tribune qu’il avait collectionné dans un herbier vingt-deux espèces de plantes sauvages que les paysans des Vosges arrachaient dans les champs pour tromper leur faim.

On ne connut pas ces extrémités à Paris, grâce aux efforts et aux sacrifices que multiplia la commission des subsistances. Elle se vantait dans son rapport au ministre « d’avoir fait baisser le prix du sac de farine à Paris de 178 francs à 103. » La vérité est qu’elle se trouva condamnée à faire à peu près tout le commerce à elle seule. Ses courtiers traitaient de gré à gré avec les boulangers parisiens.