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gentille, comme si elle eût été flattée de porter un tel fardeau. Alors l’irritation de ma parente n’eut plus de bornes : bien résolue à mettre fin à ces mouvemens, elle se plaça elle-même avec colère sur la table; mais celle-ci s’éleva de nouveau au-dessus du parquet avec son vivant fardeau. » De pareilles scènes, où la gravité de la bonne dame devait être assez compromise, amenèrent une rupture entre le neveu et la tante. Désespérant de guérir le jeune halluciné, inquiétée dans sa foi religieuse, elle pria Daniel de quitter sa maison, et celui-ci se retira chez un de ses amis, à Willimantic. Il avait alors dix-huit ans.

Faut-il dans ces commencemens du jeune thaumaturge faire une grande part à l’exaltation cérébrale qu’amène chez certains malades l’excitation anormale des nerfs sensitifs? N’y doit-on voir que les études préparatoires d’un apprenti charlatan qui se fait la main en famille? C’est une analyse qu’il nous importe peu d’entreprendre. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’à partir de ce moment il devint brusquement « un homme public, » et qu’il acquit en peu de mois une grande notoriété. La presse américaine, qui va vite en besogne, donna aux premiers essais thaumaturgiques de M. Home un retentissement prodigieux. Or il ne faut pas croire qu’il fût facile à cette époque d’attirer l’attention des Yankees par des opérations de ce genre. L’Amérique venait d’être tout récemment envahie par les manifestations des esprits; plusieurs milliers de médiums des deux sexes se partageaient la curiosité publique; il y avait parmi ces sujets, paraît-il, de très belles femmes qui jouissaient d’un grand succès. Pour se faire une place brillante au milieu de tant de concurrens, il fallait une grande habileté. Les séances de M. Home n’avaient point lieu en public, mais dans la maison d’amis chez qui il s’installait pour quelques jours ou pour quelques mois, tantôt à New-York, à Boston, à Saint-Louis, à Buffalo, tantôt dans des villes secondaires. Des personnes choisies assistaient à ces séances, et en signaient les procès-verbaux, que la presse colportait de tous côtés. « Malade ou bien portant, dit M. Home, nuit et jour, ma vie intime était assiégée par toute sorte de visiteurs. Hommes et femmes de toute classe et de tout pays, médecins et savans, ministres de toute secte, artistes et hommes de lettres, venaient étudier cette question brûlante, l’action directe des causes spirituelles sur le monde matériel... Il vint des gens de l’extrême ouest et de l’Amérique du Sud, attirés par les récits des journaux. » Non-seulement la maison où M. Home descendait était assiégée de visiteurs, mais souvent des groupes de curieux se formaient au dehors, dans la rue, pendant tout son séjour. On l’appelait d’ailleurs de toutes parts, et il ne pouvait répondre à toutes les invitations qui lui étaient faites. M. Home prend soin de nous donner quelques échantillons des lettres qu’il