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grandeur du but à poursuivre, cela peut devenir toute une révolution dans nos mœurs. La bibliothèque peuplera l’école, elle videra le cabaret, elle donnera un centre et un nouveau lien aux familles. Le grand bienfait commencé en 1833 pourra être enfin réalisé cette année si on le veut.

Les catalogues de la société Franklin sont tellement étendus qu’il est difficile de les considérer autrement que comme un répertoire de livres non dangereux ; ce n’est pas un répertoire de livres conseillés. Elle a peut-être bien fait de se tenir dans cette généralité, pour laisser à la liberté une plus grande place. La loi du 15 mars 1850 donne au conseil impérial de l’instruction publique le droit de choisir les livres qui peuvent être introduits dans les écoles communales ; mais elle le charge seulement d’indiquer ceux qui doivent être prohibés dans les écoles privées, comme contraires à la morale, à la constitution et aux lois. La société Franklin a pris pour elle cette seconde tâche ; elle réserve les conseils pour ses communications privées avec les fondateurs de bibliothèques. Il est certain qu’on ne saurait donner les mêmes conseils partout. Une commune est agricole ou industrielle, éclairée ou attardée, catholique ou protestante. Le goût de la lecture y est déjà répandu, ou bien il y a tout à créer, les lecteurs aussi bien que la bibliothèque. Tantôt il faut fournir des alimens à des esprits déjà avides de science, tantôt il faut révéler à des intelligences paresseuses une nouvelle source de plaisirs. Dans une telle diversité d’aptitudes et de besoins, il est assez difficile d’établir quelques formules générales. Il y a pourtant deux ou trois principes dont il est urgent de ne jamais s’écarter.

Le premier de tous assurément, c’est que la bibliothèque doit être tout à fait irréprochable au point de vue des mœurs. Tout le monde en tombera d’accord ; mais la morale est une souveraine très vantée, très respectée et très mal obéie. En voici une preuve singulière. Le théâtre chez nous est soumis à la censure. Évidemment on a composé la commission de censure des hommes les plus intelligens, les plus probes, les plus versés dans la connaissance du cœur humain et dans l’étude de la philosophie morale. Nous ne craindrions pas, pour notre part, la suppression de la censure, nous serions même les premiers à la provoquer ; mais du moment qu’elle existe, elle constitue un ministère de l’ordre le plus élevé. Un de ses effets est de rendre l’administration responsable de la moralité de tous les vaudevilles et de tous les mélodrames. Cependant que voyons-nous chaque soir ? Pourvu qu’à la fin de l’histoire et pendant qu’on prend son chapeau et son manteau la vertu soit récompensée et le vice puni, tout est bien, tout est dans la règle : c’est