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vité dans aucun salon, et qui ne peut lire ni les affiches des candidats, ni leurs circulaires, ni leurs bulletins? Peut-on dire qu’il exerce complètement son droit? Peut-on espérer qu’il remplisse sa fonction avec une pleine intelligence? Une société qui repose sur le suffrage universel ne commet-elle pas, en souffrant qu’il y ait des ignorans dans son sein, la double faute de violer le droit des électeurs et de compromettre ses propres intérêts?

Cela saute aux yeux. Cette raison politique, qui paraît la principale, a peut-être moins de force que celle qu’on peut tirer de l’organisation de la commune en France. C’est un véritable éparpillement; nous avons à cette heure 37,512 communes pour 36,700,000 habitans. Cela fait moins de 1,000 habitans par commune, et les communes de 500 âmes et au-dessous ne sont pas rares. Même dans celles-là, le conseil municipal doit être composé d’au moins dix membres, c’est la règle. Dix hommes instruits, ou, pour parler plus exactement et plus modestement, dix hommes sachant lire et écrire dans une commune rurale de moins de 500 habitans, est-on sûr de les rencontrer toujours? Et quand il y en aurait dix, faudrait-il donc les nommer tous conseillers municipaux par la grâce de leur alphabet? Cependant c’est quelque chose qu’un maire, et c’est quelque chose aussi, dès à présent, qu’un conseiller municipal. Ce. sera bien plus encore dans un avenir assez rapproché, car la commune ne peut que croître en attributions et en importance. Le progrès de la commune est le progrès même de la liberté. Hâtons-nous donc de rendre le progrès possible, et songeons qu’il serait plus qu’étrange de réclamer de nouveaux pouvoirs pour un maire qui sait à peine signer et pour un conseil qui ne sait pas lire[1].

On a coutume de dire, quand on propose d’élever le budget de l’instruction primaire, que cet accroissement de dépense sera plus que remboursé à la longue par des diminutions sur le service des prisons et sur celui de l’assistance publique. Cela est vrai; on peut le déclarer au nom de la statistique et de la philosophie. Il faut donc le dire à l’appui de nos demandes, quoiqu’il en coûte de voir marchander l’argent à l’enseignement primaire. Il semble qu’il devrait suffire, pour obtenir des subsides, d’exposer la pauvreté de nos maîtres et l’insuffisance de nos écoles. C’est la seule matière où un bon gouvernement ait le droit et le devoir d’être prodigue. Nous autres Français, qui faisons magnifiquement les choses, qui payons, comme on dit, notre gloire au Mexique et en Cochinchine, et qui renversons les vieilles maisons par centaines pour nous faire la ca-

  1. Lors du dépouillement des votes du 10 décembre, la commission législative dut constater au procès-verbal qu’on n’avait pas trouvé partout le nombre nécessaire de scrutateurs sachant signer leur nom.