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n’est plus vite banal que les hardiesses de mauvais goût, qui sont toujours les plus faciles à imiter. Nous avons assisté en France à de pareils engouemens; il y a une trentaine d’années, une jeune école de poésie exhuma aussi les idées et les images de notre antiquité nationale. Les mêmes prétentions, qui chez tous ne furent pas non plus toujours heureuses, donnèrent naissance aux mêmes défauts, et particulièrement à ce mélange d’emphase et de trivialité qu’on regarda comme une nécessité de genre et comme la langue naturelle du moyen âge. On bâtit même là-dessus plus d’une théorie littéraire qui n’est pas oubliée, et dont les vers de Perse sont une spirituelle critique.

La langue latine, comme le goût, avait fort à souffrir de ce retour à l’antiquité la plus reculée et la plus inculte. La vogue fut aux plus vieux auteurs; on préféra Ennius à Virgile, Lucilius à Horace, et les novateurs rétrogrades allaient même jusqu’à exhumer les mots depuis longtemps enterrés. Les Gracques paraissant encore trop modernes, on remontait jusqu’aux Appius, et plus d’un auteur, pour obtenir des applaudissemens, se piqua de parler le langage de la loi des douze tables. Le public blasé encourageait cette barbarie raffinée. «Après cela, s’écrie Perse, demanderez-vous d’où nous vient ce pot-pourri de locutions étranges qui envahissent notre langue, qui la déshonorent, et font bondir d’aise sur leurs banquettes nos petits-maîtres bien bichonnés?» Ne dirait-on pas que toutes les littératures sont destinées à tourner successivement dans le même cercle d’engouemens et d’erreurs? A nous aussi on a conseillé en des livres de critique d’emprunter des termes du vieux langage français pour relever la fadeur de notre langue classique, comme si on pouvait rajeunir les choses en les vieillissant. On a repris des tournures oubliées, des mots qui souvent n’avaient d’autre mérite que de n’appartenir pas à notre temps. Ceux même qui n’osaient pas innover dans la langue exaltaient du moins nos vieux auteurs aux dépens de nos classiques. On préférait Montaigne à Pascal, Régnier à Boileau. Que de grands écrivains n’a-t-on pas découverts tout à coup dans la poussière du moyen âge! Ce retour à l’antique est du reste assez naturel et s’explique aisément. L’imitation continuelle et banale des plus purs modèles finit en effet par vous dégoûter de l’art régulier, et il arrive un moment où l’on retourne avec plaisir à la naïveté, à la négligence, à la barbarie même de l’antiquité, dont la rudesse paraît être de la force, la gaucherie une grâce, et dont les premiers bégaiemens ont un charme enfantin pour la sénilité littéraire.

Cette trop courte satire embrasse pourtant et étreint dans sa concision nerveuse tous les ridicules littéraires du temps. Rien n’y man-