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Rome qui riaient de cette haute et sévère morale. Le stoïcisme était souvent forcé de se défendre contre les railleries des mondains et se plaignait de ces épigrammes ou légères ou brutales, comme chez nous les sermonnaires se plaignent des sarcasmes du monde contre la religion et ses ministres. « Moquez-vous, disaient les voluptueux et les incrédules, moquez-vous de ces philosophes austères et arrogans qui censurent la vie des autres, tourmentent la cour et morigènent le public. » Tels étaient les discours des élégans frivoles, des gens du bel air que Sénèque fait parler ici. Perse à son tour nous fait entendre les propos stupides des centurions et des soudards, qui n’estiment que la force du corps, gros rieurs d’autant plus odieux au poète qu’ils étaient les soutiens de la tyrannie. « Un vieux bouc, une bête velue de centurion me dira : Je me trouve assez sage comme cela. Je me soucie bien de devenir un Arcésilas ou un de ces Solons chagrins qui, la tête penchée, le regard fiché en terre, marmottent je ne sais quoi, ont l’air de frénétiques qui mâchent du silence, qui pèsent des mots sur leur lèvre allongée et s’en vont méditant les rêves de quelque vieux cerveau malade, des rêves comme celui-ci : que de rien ne vient rien, que rien ne peut se réduire à rien! Et c’est pour cela que tu maigris, philosophe, et que tu te prives de dîner : cela vaut bien la peine! — Là-dessus, le peuple d’applaudir et la grosse soldatesque de pousser de longs éclats de rire. » Le langage de Perse est toujours d’une singulière violence quand il répond aux lourdes facéties des centurions; il ne leur ménage pas les plus dures épithètes. À ces balourds brutaux, il se croit en droit de parler avec brutalité; à ces ignorans glorieux qui se piquaient de ne rien comprendre à la langue philosophique, et qui, au dire d’un ancien, pensaient qu’un coup de pied est un syllogisme. Perse riposte par une sorte de coup de poing poétique. De pareils vers devaient plaire à la société de patriciens et de philosophes hostiles au pouvoir. Avec ces puissances de bas étage, on se mettait à l’aise, on leur répliquait sans façon, et tandis qu’on était obligé d’envelopper sa pensée quand on voulait dire des vérités à la cour, cette fois on avait le plaisir de ne pas se gêner, et si on ne pouvait toucher au prince, on avait du moins la joie de malmener son satellite.

En parlant de ces sentimens hostiles aux princes, gardons-nous pourtant de croire que cette société de frondeurs soit composée, comme on le répète, de républicains faisant la guerre à l’institution impériale. Perse n’est pas plus républicain que Juvénal, sur lequel on a fait tant de phrases vaines. Nous avons trop l’habitude d’appliquer à l’antiquité nos distinctions et nos cadres politiques. La question n’était pas à Rome entre la république et la monarchie par