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stoïciens surtout, dont le panthéisme métaphysique pouvait se passer de religion positive, faisaient profession de mépriser les pratiques du culte et les sacrifices. La raison humaine s’élevait de tous côtés et depuis longtemps contre une religion corruptrice qui permettait à l’homme de se croire pieux alors qu’il n’était pas honnête et de s’acquitter envers les dieux avec des cérémonies minutieusement observées. Aussi au moment même où la foi chrétienne, enfermée dans les catacombes, travaillait à extirper des cœurs ce paganisme dépravant, en haut, à la lumière du jour, dans une opulente demeure, dans une autre communauté de belles âmes, la raison profane faisait entendre les mêmes protestations, et sur ce point se rencontrait, sans le savoir, avec les nouveaux enseignemens religieux du christianisme.

Cette satire, à laquelle on pourrait donner pour titre la Prière, montre tout le mépris des stoïciens pour la dévotion païenne. Le poète n’attaque pas seulement les pieuses coutumes du peuple ignorant, qui ne mériteraient point les honneurs d’une pareille sortie ; il prend soin de nous informer qu’il s’agit ici des grands, des puissans du jour, qui demandent aux dieux avec une horrible naïveté l’accomplissement des plus vils désirs. A cette époque d’abominable corruption, le beau monde était encore dévot, et faisait de sa dévotion un commerce lucratif avec le ciel. On lui offrait des sacrifices comme on essaie de corrompre un avide usurier, selon le mot de Platon ; on lui adressait de cupides prières à voix basse, pour n’être pas entendu des hommes ! Dans une religion formaliste, où la prière n’était pas une effusion du cœur, un hommage gratuit, mais une négociation de sordide intérêt, on priait en secret, non pour dérober humblement sa piété à tous les regards, mais pour cacher de honteuses sollicitations. On allait jusqu’à gagner le gardien du temple qui vendait la permission d’approcher de l’oreille du simulacre divin, ce qui faisait dire au contemporain Sénèque : « Aujourd’hui quelle est la folie des hommes ? Ils murmurent à voix basse des vœux infâmes à l’oreille des dieux. Dès qu’on les écoute, ils se taisent. Ils n’oseraient dire aux hommes ce qu’ils disent aux dieux ! » On comprend que, dans une pareille religion, des philosophes, Pythagore par exemple, voulussent que la prière fût toujours dite à haute voix, et qu’ils missent ainsi la dévotion qui était suspecte sous la surveillance de l’honnêteté publique. « On embarrasserait bien nos gens, dit Perse à son tour, si on les obligeait à publier leurs vœux, aperto vivere voto. »

Perse nous met sous les yeux un de ces grands seigneurs hypocrites, faux philosophes, qui demande tout haut, et en apparence, les biens de l’âme avec les formules consacrées de la philosophie,