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Alors commença cette éducation morale, cette direction spirituelle dont nous avons parlé. Le jeune homme donne au maître non son esprit à former, mais ses passions à dompter ; il est entre ses mains comme l’argile sous les doigts du sculpteur.


« Une règle invisible, délicatement appliquée, redresse mes travers L’homme passionné en moi se soumet à la raison et travaille à se vaincre lui-même ; mon âme prend des formes plus pures sous les mains de l’artiste. Avec vous, je m’en souviens, je passais des journées entières, avec vous je donnais au dîner la première heure de la nuit. Travail, repos, tout était commun entre nous, également réglé, et c’était un modeste repas que celui qui égayait nos graves pensées. Le ciel, n’en doutez pas, a voulu enchaîner par des rapports constans ma vie avec la vôtre. »

Tecum etenim longos memini consumere soles,
Et tecum primas epulls decerpere noctes.
Unum opus, et requiem pariter disponimus ambo,
Atque verecunda laxamus séria mensa.

Nous aimons à citer ces vers, non-seulement parce qu’ils peignent avec vérité un intérieur domestique et les mœurs philosophiques de Rome, mais encore parce qu’ils ont une certaine grâce facile qui n’est pas ordinaire dans les satires de Perse. Après un premier effort pour témoigner toute sa reconnaissance, pour trouver des expressions rares capables de rendre des sentimens rares aussi, ses vers coulent de source avec une simplicité lucide. La pureté ingénue des sentimens y rayonne et leur donne une sorte de transparence, et, comme il arrive souvent en poésie, les pensées qui font le plus honneur à l’âme honnête de Perse sont de celles aussi qui font le plus honneur à son talent.

Cornutus a dû contribuer à faire un satirique de cet innocent jeune homme, que son ignorance de la vie, son éloignement du monde, semblaient destiner à d’autres occupations poétiques. Ce maître si grave et si doux dans l’intimité paraît avoir eu la parole mordante, et on peut le soupçonner d’avoir fait lui-même, sous une forme ou une autre, des satires. Perse lui dit quelque part : « Vous êtes savant dans l’art malin qui fait pâlir le vice et perce la sottise des traits d’un innocent badinage. »

……………. Pallentes radere mores
Doctos et ingenuo culpam defigerc ludo.


À la fois stoïcien et philosophe prêcheur, c’est plus qu’il n’en fallait à Cornutus pour avoir le goût et le talent de la satire. On ne prêche pas sur la morale sans peindre les mœurs, sans trouver un certain plaisir à piquer le vice ou la sottise, et plus d’un prédicateur chrétien même a eu besoin de toute sa vertu pour ne pas céder à la tentation de mépriser trop ouvertement les hommes ; mais le stoïcien.