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n’est ni de la musique ni de la parole, et doit être assimilé à un simple bruit.

— Je te déclare, Lothario, que je ne suis nullement satisfait de ta comparaison. Je t’accorde que la roche creuse et les cailloux fortuitement disposés en instrument n’établissent ici qu’une cause muette par elle-même ; mais le ruisseau arrive et traverse les organes de cet instrument. C’est donc lui, la main de l’artiste, qui confie à l’air l’émission de ce qu’on appelle les ondes sonores. C’est donc lui, la cause, qui le fait parler.

— Soit, s’écria en riant Lothario : c’est le ruisseau qui fait vibrer l’instrument, absolument comme le vent fait vibrer la harpe éolienne ; mais depuis quand une vibration est-elle un langage ?

— Malheureux, tu ne l’as donc jamais écouté, le chant de la harpe éolienne, ou seulement celui de la girouette ?

— Si tu veux appeler cela du chant, alors le chant n’est qu’un bruit, et il n’y a de véritable langage que dans la parole.

— Non, attends ! Je ne dis pas cela. Le vrai chant est un langage, l’expression d’un certain ordre de sentimens et de pensées, tu l’as dit, et je le reconnais ; mais n’y a-t-il de langage et de chant que chez l’homme ? Crois-tu que le rossignol… Écoute ! le voilà qui couvre le babil du ruisseau, et qui remplit de sa passion et de sa fantaisie la nature enivrée. Écoute ces abeilles ; regarde deviser (et raisonner à coup sûr) ces laborieuses fourmis dont la faible voix ne peut parvenir à nos oreilles, mais dont le travail d’association nous étonne. Vois ici agir et folâtrer sur l’eau tous ces petits êtres que nous n’avons pas le droit de supposer muets parce que nos sens ne sont pas assez parfaits pour les entendre ! N’ont-ils pas un langage complet, relativement aux besoins de leur nature ?

— D’accord, répondit Lothario ; mais si tu confonds maintenant le langage des animaux avec celui des choses, tu confonds les êtres avec la matière inanimée, et il n’y a plus moyen de causer avec un fou.

— Patience donc ! Les plantes ne sont-elles pas aussi des êtres ? Les crois-tu dépourvues de sensibilité et de volonté ?

— Non. Elles ont aussi leurs manifestations, tout à fait mystérieuses pour nous ; mais elles les ont parce qu’elles doivent les avoir, et elles doivent les avoir parce qu’elles sont, sur un échelon particulier, des êtres organisés. Si tu me disais : Je vais écouter le ramage des fleurs, je te répondrais que je te sais capable de tout ; mais je ne verrais là que l’exagération poétique d’une déduction assez fondée, tandis que, devant ta prétention de surprendre le langage d’un ruisseau, je te salue comme le plus grand fou que la manie littéraire ait jamais produit.

— Il ne s’agit pas ici de littérature !