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d’aspect portait en lui les germes d’une révolution prochaine. M. Scribe, tout en flattant les goûts et les modes du jour, tout en arrangeant les choses pour l’effet de la scène et en faussant bien des traits, crayonnait des croquis qui retenaient un peu de la réalité où il les avait pris. Servi, poussé par le succès, il étendait son cadre, et peu à peu, de proche en proche, transformait le mince vaudeville en grave comédie.

Essayons de nous résumer. En dépit d’un simulacre de résurrection qui ne fut, il y a quelques années, que la revanche de la tradition aux abois contre les excès du romantisme usé à son tour, la tragédie paraît morte et bien morte; comme le cheval de bois de don Quichotte, l’incomparable Chevillard, elle ne bouge non plus qu’un soliveau. Le drame la remplace dans une certaine mesure, non pas le drame historique et poétique dans lequel intervenait, comme une antiquité moins lointaine, un moyen âge de fantaisie, mais le drame bourgeois tiré de la vie ordinaire. Un rameau détaché de l’arbre est allé faire souche autre part; c’est notre mélodrame à l’usage de la foule. La haute comédie se confond de plus en plus avec le drame et cesse d’être un genre distinct. La comédie d’intrigue elle-même s’est alourdie, et les tirades alternent désormais avec les mots soigneusement préparés et amenés dans le dialogue par d’habiles faiseurs. Cependant la comédie-vaudeville, qui amusait nos pères du temps de Désauiers, et dont Scribe fut le dernier maître parmi nous, s’est évanouie avec lui et de son vivant même, abandonnée par le malin auteur qui avait pressenti un changement dans le goût du public : le nom subsiste, la chose n’existe plus. La comédie-proverbe, si légère d’étoffe et de trame, si charmante dans les mains d’Alfred de Musset, ne s’est point soutenue après lui avec le même succès. La farce, dont Molière avait tiré jadis un si bon parti, est retombée presque au niveau des parades foraines. Bref, en ne tenant pas compte du mélodrame, genre faux, exagéré et grossier, qui trompe et ne satisfait point l’appétit populaire, nous n’avons plus que le drame bourgeois tempéré par la comédie, la comédie raisonneuse ou les pièces d’intrigue qui peuvent divertir l’assistance, mais qui n’offrent qu’un très petit côté de l’art théâtral. Cette fusion de l’élément pathétique ou sérieux et de l’élément comique dans un milieu bourgeois (nous répétons le mot, parce qu’il exprime la vérité de la situation,) nous semble devoir être l’œuvre des générations nouvelles, et la génération présente en aura hâté l’accomplissement.

On pensera peut-être que nous avons été chercher notre point de départ un peu haut. Qu’importe, si nous n’avons pas perdu de vue l’époque présente, dont il suffira aujourd’hui d’indiquer le caractère par quelques portraits et par l’analyse de quelques pièces nouvelles ?

dans ces derniers temps, un groupe s’est porté en avant, qui, tout en bénéficiant des conquêtes de l’école romantique, se rattache par-delà, et très étroitement, aux novateurs du XVIIIe siècle, plus étroitement encore au théâtre de Balzac, à quelques-unes des esquisses et aux scènes les plus