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temps qu’on n’avait fait dans les trente années précédentes, tout ceci grâce au gouvernement italien, qui eut deux bonnes idées : il porta à 60,000 francs l’allocation annuelle accordée aux fouilles, et il nomma pour les diriger un homme dont il convient avant tout de dire quelques mots, le chevalier Giuseppe Fiorelli.

M. Fiorelli était né antiquaire, et, ne voulant pas être avocat, ayant d’ailleurs de la science et du talent, il quitta un jour Naples pour Gênes, où était réuni le congrès des savans. Non-seulement il obtint d’y siéger, mais il y fut nommé vice-président. C’était en 1846, il avait vingt-trois ans à peine. Il fut d’abord si honteux d’un pareil honneur que le premier jour il fallut un vrai combat pour l’entraîner à la séance ; il se rassura peu à peu cependant, voyant que ses doctes collègues du congrès n’étaient pas infaillibles comme les pieux prélats d’un concile ; il s’enhardit même si bien qu’il devint illustre en quelques jours. A son retour à Naples, il fut appelé chez Santangelo, le ministre d’alors, qui lui donna la direction des fouilles de Pompéi. Quelques mois auparavant, lors de son départ pour Gênes, manquant d’argent pour son voyage, il avait dû remuer ciel et terre avant de trouver 200 francs.

Installé à Pompéi, M. Fiorelli se donna beaucoup de peine pour amener un peu d’ordre, d’intelligence et de moralité dans cette administration. Aussi fut-il arrêté en 1849. Ceux qu’il gênait l’avaient accusé d’être libéral ; c’était alors un gros crime. Il resta un an en prison, et il en sortit grâce à un acquittement formulé par le consta che no, bien différent du non consta dans les décisions de l’ancienne justice napolitaine. Le non consta déclarait l’absence de preuves, le consta che no proclamait l’absence du délit. La première formule voulait dire : « Il n’est pas constaté que l’accusé soit coupable. » La seconde signifiait : « Il est constaté que l’accusé ne l’est point. » Malgré cet acquittement formel, M. Fiorelli apprit en sortant de prison qu’il avait perdu sa place. Forcé de demander au travail les moyens de vivre, il asphalta des terrasses, grâce à la protection d’un brave homme qu’il avait autrefois employé à Pompéi ; puis, un beau jour, il fut appelé chez le comte de Syracuse. Ce prince avait du bon, il aimait la liberté, ou du moins certaines libertés : il protégeait les arts et il pratiquait des fouilles. Il avait trouvé à Cumes, dans un tombeau, des cadavres avec des têtes fort bien conservées ; on lui avait dit qu’elles étaient en bronze. Il voulait savoir si on ne l’avait pas trompé. M. Fiorelli lui apprit et lui prouva, une chandelle à la main, qu’elles étaient en cire. Charmé de cette première épreuve, le prince, qui ne détestait pas d’ailleurs les victimes de son auguste frère (tout despote a dans sa famille un libéral), pria le jeune savant de venir le voir à Sorrento, et dès sa première visite lui demanda s’il n’y aurait pas de fouilles à opérer quelque part.