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ou des objets de son appartement n’avait été cassé ou égaré, et lui-même avait été traité avec les plus grands égards.

Le gouvernement du taïkoun a ainsi, dans mainte occasion, fait preuve de bonnes intentions envers ses nouveaux alliés; mais il n’est point parvenu à établir avec eux des relations véritablement amicales. La crainte d’effaroucher les susceptibilités du parti patriotique, qui a vu avec regret l’intrusion des étrangers dans les affaires intérieures, a imposé à la cour de Yédo une réserve qui s’est manifestée chez tous les fonctionnaires qu’elle a désignés pour traiter avec les représentans de l’Occident. Ceux-ci, en vertu du caractère officiel dont ils étaient revêtus, n’ont pu faire des avances trop directes, et, après avoir acquis la certitude que la froideur avec laquelle on les recevait était le résultat d’un parti-pris, ils ont à leur tour gardé les mêmes apparences, corroborant ainsi malgré eux un état de choses qui rend leur séjour à Yédo et leurs rap ports avec le gouvernement de plus en plus difficiles. Aucun lien d’amitié n’existe entre les fonctionnaires japonais et les membres des diverses légations occidentales, et la vie que ces derniers mènent à Yédo est fort monotone et triste. Jusqu’au moment où M. Heusken fut assassiné, cette existence n’était cependant pas dépourvue de distractions. Les attachés formaient une société de jeunes gens assez nombreuse ; les chefs de légation exerçaient à l’envi la plus large hospitalité. Il y avait toujours des invités d’Europe ou d’Amérique à Saï-kaï-dsi, à Toden-si et à Dsen-fou-dsi, et on se faisait un plaisir de leur montrer la ville et les environs, qui sont charmans. C’étaient chaque jour de longues promenades à cheval; on allait au château, on traversait la cité on visitait le temple de Quannon, on faisait des parties de plaisir à Odsi. Sans doute il fallait être armé et se tenir sur ses gardes, mais sans appréhensions sérieuses, et il n’y avait point d’imprudence à s’aventurer, quelle que fut l’heure de la journée, dans les parties les plus reculées de la ville. Je me souviens d’une promenade faite en compagnie des attachés de la légation anglaise et de M. Heusken. Nous partîmes de bonne heure de Toden-si sans autre escorte que celle de nos bettos (on était alors en 1860). Nous traversâmes le quartier du château, Soto-siro et toute la cité ; nous nous arrêtâmes longtemps dans les temples du dieu de la guerre, des cinq cents images et de Quannon-sama; puis nous arrivâmes, après avoir visité les quartiers aristocratiques aussi bien que les rues habitées par la lie de la population, jusqu’au village d’Odsi, à une distance de 15 à 18 kilomètres du siège de la légation anglaise. Là nous fîmes une halte qui dura plusieurs heures, et la nuit nous surprit lorsque nous étions encore loin de Toden-si; nos chevaux étaient harassés de fatigue, et nous n’avancions plus qu’au pas. Nous ne rentrâmes chez nous que vers minuit, ayant passé