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princes et par les temples le démontre suffisamment[1]. On sait d’ailleurs que, d’après les lois qui régissent le Japon, une moitié des seigneurs féodaux entre lesquels est partagé l’empire doit habiter Yédo, et que l’autre moitié doit y être représentée par les plus proches parens des chefs de famille[2]. Les daïmios, en quittant la capitale, emmènent avec eux toute leur cour, et cette cour est quelquefois nombreuse, puisqu’elle ne se compose pas seulement de fonctionnaires et de domestiques, mais aussi d’un corps d’armée dont le chiffre varie de quelques centaines à plusieurs milliers de soldats[3]. Le prince qui part est à la vérité remplacé par un autre; mais l’armée du nouveau-venu peut être inférieure ou supérieure en nombre à celle de son devancier; il en résulte dans la population de Yédo des fluctuations continuelles et considérables, dont on ne peut se rendre compte, puisque les grands daïmios ne permettent au taïkoun aucun contrôle sur le nombre ou la qualité des personnes qui les suivent. On estime que les grands et petits daïmios sont représentés dans la capitale par un demi-million de personnes environ, hommes, femmes et enfans. La maison du taïkoun, en y comprenant les fonctionnaires, soldats et domestiques, compte, à ce que l’on dit, 180,000 personnes. En ajoutant à ces chiffres, ainsi qu’à celui que j’ai donné pour les bourgeois et artisans, 200,000 prêtres, moines et nonnes qui habitent les couvens et les temples, 200,000 voyageurs et pèlerins, 50,000 parias, c’est-à-dire hettas[4], christans[5] et mendians, on trouve que la population entière de Yédo ne

  1. L’étude du plan japonais dont j’ai parlé, et dont l’exactitude m’a été démontrée par l’expérience, m’a conduit à des résultats fort curieux sur la proportion des terrains occupés par les divers élémens de la population. La superficie totale de Yédo, qui est de 85 kilomètres carrés, se distribue de la manière suivante :
    Palais des daïmios et du taïkoun. Parcs, jardins, terres cultivées et fortifications. Temples et dépendances. Habitations bourgeoises. Total.
    Ile de Hondjo 5 4 1/2 1 1/2 1 12
    Quartier du château 4 « « « 4
    — en dehors du château 7 « 1 4 12
    — au nord du château 5 11 8 2 26
    — à l’ouest du château 5 2 1/2 4 « 1/2 12
    — au sud du château 3 10 5 1 19
    29 28 19 1/2 8 1/2 85
  2. Voyez, dans la Revue du 1er mai dernier (le Japon depuis l’ouverture de ses ports), le passage relatif à la constitution politique du Japon ou lois de Gongen-sama. Cette constitution vient de subir des réformes radicales, dont on ne peut encore apprécier la portée, et qui ont trait surtout aux obligations du taïkoun envers le mikado, et des daïmios envers le taïkoun.
  3. L’armée du daïmio de Satzouma s’élève, assure-t-on, à 25,000 hommes, et 8 ou 10,000 l’accompagnent ordinairement lorsqu’il se rend à Yédo.
  4. Ce sont des artisans qui travaillent le cuir et touchent le sang des animaux; on les regarde comme impurs, et ils sont parqués dans des quartiers particuliers.
  5. Les descendans des anciens chrétiens japonais. Ils vivent à Yédo dans un quartier particulier, se marient entre eux et sont profondément méprisés. L’exercice de la religion chrétienne leur est sévèrement interdit, et ils en ont perdu tout souvenir.