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sont rendues fameuses par leurs attraits et par leur charité, et auxquelles les djoros et autres habitantes des maisons de thé décernent des hommages presque divins. L’intérieur du sanctuaire n’a pas ce caractère de propreté scrupuleuse que j’ai observé dans plusieurs édifices de ce genre; en revanche, il ne cesse de se remplir de dévots qui y accourent de tous les points de l’empire, et dont la curiosité indiscrète rend pour les étrangers l’examen attentif du temple chose fort difficile. On voit, à la droite du bâtiment principal, une pagode semblable aux pagodes chinoises, mais d’une construction plus lourde, et deux statues colossales en pierre représentant l’image d’un Bouddha.

Le temple de Confucius n’est pas ouvert aux étrangers. Dans l’enceinte du parc qui l’environne est établie l’université de Yédo, où les fils des grandes familles japonaises terminent leurs études : ils y apprennent les élémens de la géographie, de l’histoire générale et des sciences physiques, les langues étrangères, et avec un soin plus particulier l’histoire naturelle, et surtout l’histoire nationale; mais les objets essentiels de l’enseignement sont les écritures japonaise et chinoise, et la haute littérature japonaise, qui emprunte ses œuvres à la littérature classique de la Chine. Les difficultés de ces dernières études sont presque insurmontables, et exigent un temps si long que les jeunes gens peuvent à peine effleurer les autres parties de l’enseignement[1]. Aussi les meilleurs élèves, en sortant des écoles, ne savent-ils que lire et écrire le chinois et le japonais, et demeurent-ils, à peu d’exceptions près, dans une complète ignorance sur tout le reste. On a exagéré en général l’intelligence des Japonais. Bien élevés, patiens, sachant tout écouter avec une bonne grâce qui ne les compromet guère, ils ont l’esprit fin, subtil, rusé; mais ils ne possèdent certainement pas cette pénétration, cette largeur de vues, cette puissance créatrice qui font la force des races de l’Occident. Il semble décidément qu’il faille attribuer leur état intellectuel à une infériorité de race plutôt qu’à une infériorité de civilisation. Sans doute un daïmio est plus instruit, plus éclairé que ne l’étaient nos châtelains du moyen âge; mais il serait absurde de prétendre que le Japon peut produire des esprits philosophiques et spéculatifs comme en a produit chez nous cette époque. Les sources inépuisables de philosophie, de poésie et d’art, qui, descendant des hauteurs de notre antiquité classique, ont régénéré et fertilisé le monde occidental, n’ont jamais vivifié les champs arides de la philosophie et de la littérature japonaises.

  1. Il y a cinq manières d’écrire le japonais : en kaï-cho, en gio-cho, en sosho, en hiragana et en katagana. Les deux dernières écritures s’apprennent sans trop de difficulté; mais l’étude approfondie des trois autres suffit à remplir la vie entière d’un homme.