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il tient une sonnette, et en balançant le bras, pour faciliter sa course, il la fait tinter à des intervalles courts et réguliers. Cette sonnette tient lieu du cor de nos postillons. En l’entendant à la station qui marque le terme d’une course, l’homme de service se prépare à partir immédiatement; il reçoit le paquet de lettres apporté par son camarade, et s’éloigne au pas gymnastique. La poste japonaise parvient de cette manière à faire parcourir en vingt-quatre heures une distance de plus de 200 kilomètres. Le service postal ordinaire ne se fait pourtant pas avec la même célérité, car, pour recevoir à Yokohama une lettre de Nagasacki, il faut compter huit jours, bien qu’il n’y ait entre ces deux villes que 1,100 kilomètres. Les coureurs japonais possèdent un grand fonds de résistance : ils vont les genoux pliés, les épaules rejetées en arrière; ils rasent le sol de leurs pieds et ils respirent avec bruit.

A l’extrémité de Kavasacki, au bord d’un petit fleuve, le Lokoungo, qui va se jeter dans le golfe de Yédo, on trouve une auberge (tkcha-ja), qui, semblable au middle-way tea-house, est bien connue de tous les étrangers de Yokohama. Le Lokoungo marque la limite du territoire franc. Kavasacki est le dernier village, du côté de Yédo, que les étrangers aient le droit de visiter, et comme dans les environs il y a un temple fort curieux, et que le tscha-ja est bien tenu, ceux qui habitent Yokohama s’y rendaient assez fréquemment, et parfois en nombreuse et joyeuse compagnie. On les recevait jadis à bras ouverts, car ils payaient sans regarder ou sans comprendre, quand ils s’avisaient de jeter les yeux sur la note que leur présentait l’hôtelière; aujourd’hui nous ne sommes plus les bienvenus. Le maire de Kavasacki, agissant sans aucun doute d’après des instructions reçues de haut lieu, n’a pas voulu souffrir que les todjins (hommes de l’Occident) se rendissent trop familiers avec les gens du village. Il n’a pas permis qu’ils y répandissent de l’argent, et le tscha-ja est non-seulement placé sous une surveillance sévère, nais il est soumis à des impôts extraordinaires et tellement considérables, que les propriétaires, tout en volant les étrangers de leur mieux, souffrent plutôt de leur venue qu’ils n’en profitent. Aussi la vieille femme qui tient l’auberge de Kavasacki s’est empressée, bien malgré elle, d’en faire disparaître ce qui peut en rendre le séjour agréable. Les servantes jeunes et alertes, qui s’ingéniaient en 1859 à nous préparer de bons repas, ont cédé en 1862 leur place à de vieilles maritornes qui nous regardent de travers et mettent très peu de bonne grâce à nous servir.

Près de Kavasacki s’élève le vaste temple de Daïsi-Guavara-Hegensi. On le compte parmi les plus beaux du Japon. C’est un ancien édifice, couronné d’uni large toit, orné de belles et curieuses