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dir, ou pour grandir les autres de façon à les rabaisser. Il ne faut pas moins pour savoir mentir de telle sorte que personne ne soit trompé, excepté celui qu’on bafoue, et que tout le monde rie, excepté celui dont on rit. Supposez au contraire que l’ironique mensonge soit un instant accepté comme vrai par ceux dont le rôle est de rire, le rire éclatera peut-être encore, mais trop tard, comme une arme qui fait long feu.

L’ironie est-elle identique au fond avec ce que l’école romantique et les esthéticiens modernes ont appelé l’humour ? L’humour lui-même n’est-il que la verve comique ? À ces mots différens doivent correspondre des idées distinctes, et la psychologie du rire nous apprendra sans doute quelles sont ces idées. De tous les phénomènes qui ont quelque affinité avec le risible, le rire et la faculté d’exciter le rire, nous n’en connaissons pas qui résiste autant à une définition que l’humour. Nous avons cru longtemps que la difficulté que nous éprouvions à démêler les divers élémens de cette disposition singulière de l’âme venait de notre tempérament français ; mais, en lisant et relisant ce qu’en ont écrit les esthéticiens étrangers, nous nous sommes assuré que l’humour n’est pas plus docile à l’analyse de nos voisins qu’à la nôtre. L’humour est certainement une disposition morale et intellectuelle particulière à certains hommes, puisqu’il a conquis dans l’art et dans la science une place que personne ne lui conteste ; mais, par une destinée assez bizarre, l’humour a surtout grandi en Angleterre : c’est en Allemagne qu’on l’a le plus étudié, et nous penchons à croire que si jamais sa nature se laisse voir clairement, c’est que quelque main française l’aura débarrassé des brumes qui l’entourent. Jusqu’à présent, et même après l’ingénieux travail de M. Dumont, l’humour reste flottant, mobile, presque insaisissable. Quelques traits cependant en ont été aperçus, et notre prétention se borne ici à les recueillir, sans nous flatter de les réunir en un tout homogène et distinct. Hegel, dans son Esthétique, a consacré à l’humour un chapitre de quatre ou cinq pages dont voici les premières lignes : « Dans l’humour, c’est la personne de l’artiste qui se met elle-même en scène tout entière dans ce qu’elle a de superficiel à la fois et de profond, de sorte qu’il s’agit essentiellement de la valeur spirituelle de cette personnalité. » Et non-seulement la personne de l’artiste se met en scène, mais elle refoule, écarte, supprime tout ce qui paraît avoir une valeur objective et fixe, ou, pour parler à la française, tout caractère général, toute forme permanente des choses et de l’humanité, de telle sorte que le rôle principal, sinon unique, appartienne à l’artiste ou à l’écrivain lui-même, représenté par ses idées propres, par ses éclairs d’imagination, par des conceptions individuelles et frappantes. Cependant l’humour qui n’admet aucune vérité générale ou qui ne