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plus hardiment la difficulté. Il a du moins démêlé le fait, qui reste acquis à la science. Vivès, au XVIe siècle, a cru tenir la raison du phénomène. D’après cet adversaire d’Aristote, seul, entre tous les animaux, l’homme rit, parce que seul il a un visage où s’exprime le rire, tandis que la face des bêtes est immobile. Il y a trois erreurs dans ces trois lignes : d’abord il est inexact que le masque des animaux soit immobile ; puis on ne rit pas seulement du visage, mais aussi de la voix ; enfin, eût-il un visage semblable au nôtre, l’animal ne rirait pas : pour cela, il lui manquerait encore non pas une âme, puisqu’il en a une qui sent, connaît et se souvient, mais une âme douée de la faculté tout à fait éminente de comprendre et de juger le risible. Quelle est donc cette faculté ? Il faut le savoir. Peut-être ceux qui analysent le risible et le rire ne font-ils autre chose qu’étudier par un certain côté l’essence de la raison elle-même.

À l’égard du rire invisible de l’âme ou du risible dans l’esprit, le dernier chercheur qui se soit aventuré sur ces terrains mouvans, M. L. Dumont, se persuade qu’il a rencontré la solution du problème, et l’annonce en ces mots : « Nous pouvons présenter maintenant la véritable définition du risible. » Cette heureuse confiance ne déplaît pas, elle inspire même une bienveillante sympathie. On voudrait partager la sécurité où se repose le jeune esthéticien ; mais dès les premières pages les doutes s’élèvent et l’inquiétude commence. On est surpris de voir paraître tout à coup la solution vers laquelle on espérait être conduit pas à pas. Cette solution, on la considère attentivement, et la surprise redouble. « Le risible, dit M. Dumont, peut être défini : tout objet à l’égard duquel l’esprit se trouve forcé d’affirmer et de nier en même temps la même chose. En d’autres termes, c’est ce qui détermine notre entendement à former simultanément deux rapports contradictoires. » Que l’on définisse d’abord le risible par les effets qu’il produit sur notre âme, rien de plus permis ; c’est même là une marche excellente, puisqu’elle nous mène de ce que nous connaissons le mieux à ce qui nous est moins voisin et moins connu. Cependant, puisqu’on professe avec raison que le risible est non-seulement jugé, mais senti, qu’il agit et sur l’entendement et sur la faculté de jouir, la définition que l’on énonce au début, et à laquelle on restera fidèle jusqu’à la fin de l’ouvrage, devait réfléchir la double puissance du risible, et non le présenter comme un objet qui n’atteint que notre intelligence. Quoi qu’il en soit, l’acte intellectuel est assurément le premier qui s’accomplisse : l’esprit le plus alerte, le plus prompt, le plus agile, a beau avoir des ailes en quelque sorte et saisir au passage l’objet risible, comme l’hirondelle prend en volant l’insecte qui traverse l’air ; il y a un moment, si bref que l’on voudra, où l’on connaît d’a-