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cherche dont il s’agit, ce que Bacon aurait appelé une table d’absence dans les analogues, c’est-à-dire une série de faits analogues au rire et où manque pourtant le rire de l’âme, qui seul mérite le nom de rire. Pour celui qui expérimente, de tels faits sont d’un grand prix, parce qu’ils désignent tout de suite les élémens que l’investigation doit écarter. Ces faits avaient donc leur place marquée dans une monographie comme celle de M. Dumont, et nous aurions désiré les voir inscrits à côté de quelques autres qui sont importans, mais peut-être moins décisifs. La valeur de ces études spéciales consiste essentiellement à varier l’expérience avec tant d’habile insistance que peu à peu la vérité se dégage du sein des exemples choisis et finisse par sauter aux yeux. Ainsi, après avoir établi que le corps rit souvent, ou plutôt qu’il semble rire, sous l’influence de certains agens extérieurs purement physiques, chimiques ou mécaniques, et à l’exclusion de tout objet risible, il était utile de montrer, comme on l’a fait, qu’il dépend de l’âme soit d’imposer silence au rire corporel, soit de le produire sans motif, comme il arrive à ceux chez lesquels le rire presque continuel est devenu un tic fatigant et ridicule. Cependant il eût fallu ne pas omettre le pouvoir qu’ont les acteurs de simuler les mouvemens, les bruits sonores, les modifications du visage, qui expriment l’état intérieur d’une âme épanouie et riante, et cela lorsque la douleur les accable ou même lorsqu’ils ont la mort dans le cœur. Cette désharmonie entre le dedans et le dehors, les mauvais comédiens la laissent percer et recueillent des sifflets ; les artistes consommés la dissimulent par un effort suprême, et enlèvent les applaudissemens ; mais, visible ou cachée, elle est fréquente, et le rire physiologique s’y montre ce qu’il est, c’est-à-dire un masque mobile et vivant que le personnage prend ou dépose, mais sous lequel l’homme plus d’une fois a pleuré. N’en déplaise à ceux qui l’accusent de se repaître d’abstractions, la science de l’esprit prend son bien partout où elle le trouve : elle distingue l’âme du corps aussi bien dans la damnée créature qui trompe par des larmes feintes celui dont elle se rit en dessous que dans le diplomate à la mine impassible dont le rire muet n’éclate qu’in petto.

Si le rire ne consistait que dans un ensemble de mouvemens organiques, pourquoi les animaux ne riraient-ils pas ? Beaucoup d’espèces animales ont, comme nous, un diaphragme, un appareil respiratoire et vocal, des muscles faciaux souples et mobiles. Pourtant aucun animal ne rit. Aristote, qui constate à deux reprises le fait dans un même chapitre du traité des Parties des animaux, ne l’explique ou n’essaie de l’expliquer que par rapport au rire qu’excite le chatouillement. Cet effet, dit-il, a sa cause dans la délicatesse de la peau de l’homme. Il est regrettable que l’antique fondateur de la psychologie et de la physiologie n’ait pas abordé