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est développée dans la Poétique ou Introduction à l’Esthétique du célèbre humoriste, dont MM. Alexandre Büchner et Léon Dumont viennent de publier la traduction en français. Jean-Paul a embrassé tous les élémens de la question. Rien n’a échappé à la vivacité pénétrante de son coup d’œil, ni l’aspect extérieur du risible, ni les mouvemens intellectuels et sensibles qu’il provoque dans notre âme, ni l’ébranlement physique qui en est la conséquence. Son analyse a évidemment servi de modèle et de guide à celle de M. Léon Dumont, son interprète. Prenant d’abord le risible en lui-même, Jean-Paul le définit l’infiniment petit, parce qu’à ses yeux, le risible est le contraire du sublime, c’est-à-dire de l’infiniment grand. Nous ne sommes pas sûr que le risible soit l’infiniment petit ; mais nous sommes certain qu’il n’est pas le contraire du sublime, ni même le contraire du sérieux. Si, de l’avis de tout le monde, le risible a pour caractère et pour essence de produire le rire, — j’entends le véritable rire, — plus fortement et plus infailliblement que quoi que ce soit, le contraire du risible sera sans contredit, non pas simplement ce qui fait pleurer, puisque le rire peut aller jusqu’aux larmes, mais bien ce qui est triste et surtout ce qui est triste jusqu’à faire pleurer. L’absence d’une chose n’en est pas le contraire, et le sérieux n’est que l’absence du risible. Ainsi, par exemple, l’innocence est l’absence du vice, elle n’en est pas le contraire : ce contraire, c’est la vertu. Au reste, Jean-Paul n’insiste pas sur sa première définition du risible. Chemin faisant, il la modifie et ramène l’objet risible à trois élémens : d’abord une absurdité, c’est-à-dire l’entendement d’un individu violant ses propres lois ; puis, en second lieu, l’expression saisissable par nos sens de cette absurdité ; enfin la contradiction entre cette absurdité et les pensées que nous attribuons à l’individu dont l’action est absurde. Quant au plaisir du rire, Jean-Paul n’en parle qu’à propos du comique, et il le fait consister dans « la jouissance ou plutôt l’imagination et la poésie de l’entendement tout à fait affranchi qui s’exerce sur trois chaînes syllogistiques et fleuries, et s’y balance çà et là en dansant. » Il dit aussi que le comique a le charme du vague, et que par là il se rapproche du chatouillement corporel « qui, comme un double son folâtre, s’éteint entre la douleur et le plaisir. » Quoique plus poétiques et plus colorées qu’il ne convient à une analyse scientifique, ces expressions laissent apercevoir quelques-uns des traits du phénomène. De ces traits, il en est un que Jean-Paul n’a trouvé que dans son imagination : ce n’est certes pas l’observation qui lui a appris que nous attribuons à l’objet risible notre âme et notre manière de penser. Une telle attribution n’a jamais lieu. Cette méprise est singulière de la part d’un théoricien qui a si exacte-