Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 47.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les consoler de tout. Les deux mesures se tenaient donc étroitement, et, en donnant des droits aux Italiens, Caïus complétait et assurait l’œuvre agraire de Tiberius.

Avant de porter le grand coup, et pour le préparer, il reprit la loi de son frère Tiberius, destinée, en améliorant la justice, à séparer des intérêts patriciens les intérêts des financiers, qu’on appelait les chevaliers; elle associait, pour l’office de juge, les chevaliers aux sénateurs. Caïus lui donna une portée plus grande en remplaçant les sénateurs par les chevaliers. La corruption des juges que l’on dépossédait était si grande, que par pudeur, dit Appien, le sénat n’osa point résister. C’est en soutenant à la tribune cette loi, qui portait le dernier coup aux monopoles politiques de l’aristocratie, que Caïus Gracchus, contrairement à l’usage qui voulait que l’orateur se tournât vers le Comitium, où étaient les familles patriciennes, se tourna vers le Forum, où étaient les plébéiens : léger changement d’attitude dans lequel était toute une révolution[1].

Caïus Gracchus s’occupa aussi de la condition du soldat pour l’adoucir. Le soldat ne dut commencer à servir qu’à l’âge de dix-sept ans, et la durée du service militaire fut abrégée. Dans le combat entre les Gracques et les patriciens, l’humanité est toujours du côté des Gracques. Mais la grande affaire de Caïus Gracchus, c’était la cause des Italiens, de ceux qui jouissaient d’un droit politique incomplet nommé droit latin, et de ceux qui, sous le nom d’alliés, étaient encore moins favorisés, en un mot la cause des franchises italiennes, la cause de l’Italie. Caïus Gracchus voulait élever tous les Italiens sujets de Rome au rang de citoyens romains[2]. On peut le considérer comme le premier précurseur de l’unité italienne; il voulait réaliser d’avance le vœu que formait plus tard Virgile :

Sit romana potens itala virtute propago.


C’est pourquoi il s’occupa beaucoup des routes, ce qui était un bienfait pour toutes les populations italiennes; en facilitant les rapports de ces populations, les routes devaient préparer leur unité politique, but des efforts de Caïus. À cette heure, on attend un résultat pareil des chemins de fer établis entre les différens états. Ce qu’étaient les routes dans l’antiquité, les chemins de fer le sont aujourd’hui.

Caïus Gracchus passe pour avoir établi l’usage des pierres mil-

  1. Cette innovation est attribuée aussi à un Licinius Crassus, du reste orateur populaire; mais elle va trop bien au personnage de Caïus Gracchus pour qu’on la lui ôte.
  2. Selon M. Mommsen, il voulait donner le droit de cité romaine aux Latins, et étendre les prérogatives du droit latin aux alliés.