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ment d’autres prétextes. La principale pièce contre Dumouriez est une lettre de lui où il paraît compter sur une crise de ce genre pour faire marcher son armée sur Paris.

Effrayée de la responsabilité qu’une disette aurait fait peser sur elle, la municipalité parisienne résolut de former un grand approvisionnement; elle envoya dans les départemens des commissions tirées de son sein pour ramasser des blés. D’autres grandes villes, où les mêmes craintes existaient, trouvèrent bon de suivre cet exemple. Les administrations de la guerre et de la marine augmentaient aussi leurs achats. Une hausse rapide et désordonnée créa la terreur. On faisait accroire aux habitans des petites villes et des campagnes qu’il y avait un plan pour les affamer au profit du peuple de Paris. Cette calomnie était d’autant plus facile à accréditer, qu’on vendait à Paris le pain 3 sous la livre, tandis qu’il coûtait deux ou trois fois plus partout ailleurs. On se gardait bien de dire que la différence était payée au moyen de sous additionnels aux contributions, espèce d’impôt progressif exigé de tous les habitans en possession d’une aisance relative. Les paysans exaspérés empêchent la circulation, arrêtent les moulins. Toutes les mesures ridicules ou terribles de la vieille monarchie sont exhumées par la république. Les décrets se succèdent contre ceux qui gênent les transports, contre les accapareurs, les meuniers qui font commerce, les agioteurs qui enchérissent sur les prix : rien n’y fait, bien que la loi à cette époque ne connaisse qu’une seule peine, la mort! Un corps de gendarmerie spéciale créé pour protéger les arrivages de grains ayant été impuissant, on transféra ce service à l’armée révolutionnaire, qui devait parcourir les campagnes, et ce fut la principale excuse de son existence.

Le commerce régulier n’existait plus en 1793. La halle de Paris était sans marchandises. Les boulangers ne travaillaient plus qu’avec les farines tirées des réserves municipales, qu’on distribuait très sobrement pour ne pas épuiser trop vite cette ressource suprême. On défendit aux meuniers de bluter au-dessous de 15 pour 100, c’est-à-dire d’extraire plus de 15 livres de son sur 100 livres de blé. On essaya un pain de pommes de terre qui ne réussit pas, dont la distribution aurait suscité de dangereuses jalousies, et la commune, au nom de l’égalité, prescrivit la confection d’une seule sorte de pain. Les boulangers rationnaient leurs pratiques à quelques onces par tête et par jour; la portion des ouvriers était un peu augmentée. Chaque chef de famille devait déclarer le nombre des bouches qu’il avait à nourrir. Voici un tableau que me fournit une brochure du temps, dont le titre est significatif : Nous mourons de faim ! « Dans