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rie fut créée. La corporation fui réorganisée avec quelques privilèges, auxquels on fit contre-poids en autorisant, pour la vente du pain, quinze marchés spéciaux, fréquentés surtout par les gens de Gonesse. La boulangerie parisienne faisait alors pour les riches du pain excellent, car elle y employait des gruaux remoulus lentement et d’une manière qui n’en altère aucunement la qualité. On se plaisait aux variations sur le pain mollet, qui conservait sa vogue, et Bouillard, le fournisseur de la cour, créait un genre avec son pain à la reine, qu’il obtenait en versant petit à petit du lait chaud dans sa pâte.

Même après la mort de Louis XV et de son digne ministre Terrai, il y a toujours eu de grands agiotages sur les grains et des tentatives de monopole. Je ne saurais dire si ce fut avec succès. Les hommes de force à faire mouvoir ces grandes machines sont rares. On en découvrit un dans les années qui précédèrent la révolution, et aussitôt le pacte de famine se reforma. À l’approche des bouleversemens que tout le monde pressentait, il était bon de s’assurer un levier politique et de plus l’argent, qui est le nerf de la guerre. Deux des principaux magistrats de Paris, Berthier et Lenoir, étaient soupçonnés de tenir les fils du complot. Le directeur commercial était un certain Pinet, type curieux à observer.

Ancien négociant en grains, Pinet, sans faire sa fortune, avait acquis une réputation d’énergie et de capacité. Les monopoleurs, qui avaient eu occasion de le voir à l’œuvre, achetèrent pour lui une charge d’agent de change, afin qu’if pût entretenir un grand mouvement d’argent sans qu’on connût exactement la nature de ses opérations. Il acceptait des fonds en dépôt sous prétexte de les faire valoir dans sa banque, et en payait l’intérêt avec une générosité splendide. Il eut bientôt une clientèle : les fonds qu’il recevait en comptes courans, ajoutés au capital de la société, mirent dans sa main des sommes colossales pour l’époque… Vers 1787, il avait converti en grains une soixantaine de millions ! Entraîné, comme son devancier Malisset, plus loin qu’il n’aurait voulu, Pinet eut des remords. C’était en effet un homme étrange, une de ces natures fortes, et assez élargies par la lutte pour que le bien et le mal y tiennent place. La philosophie à la mode, dont il s’était bourré, avait fait de lui un agioteur sentimental, affamant les populations, mais aimant l’humanité, dévorant à belles dents la proie tombée dans ses filets, mais sur pied avant le jour pour voir lever l’aurore ! Obligé de s’avouer que tout n’était pas pour le mieux dans son œuvre, il résolut de corriger par un peu de bienfaisance le mal qu’il était condamné à faire. Qu’un grand seigneur lui apportât 100,000 écus à